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Mon herbier, mon coquillier < Ouverture. De la choréologie > THE END !
Texte mis en ligne le 23 juin 2021, et mis à jour la dernière fois le 26 novembre 2023 (14 versions).
« Ni l’homme n’est le centre, ni l’espace le lieu. Il n’y a plus de là. » Henri Maldiney sur le vertige.
Tout le monde le sait la frontière sépare et unit. Nombreux sont ceux qui voudraient que les frontières n’existent pas, pour des raisons aussi idéologiques que morales en réalité, mais chacun, en son for intérieur, sait pertinemment que si le monde (et en particulier le monde du vivant, mais aussi le monde physico-chimique du dehors que peuplent les êtres vivants) est un continuum, ses réalités, ses composantes, ses unités sont précisément des unités séparées les unes des autres (chapitre 2).
La question n’est donc pas tellement celle de la frontière, mais celle de la nature de la frontière. Que cherche-t-on à différencier : des langues ? Des ethnies ? Des religions ? Ou bien des espaces géographiques absolument et réciproquement discrets ? En effet il y a des frontières différentes (il y a de la frontière dans la frontière).
Souvent, surtout jadis, les frontières politiques tendent à traduire les frontières géographiques (celles des mers et des déserts, des fleuves, des crêtes et des vallées), mais l’histoire des hommes a très largement bousculé ces frontières semi-naturelles. Généralement on s’accorde à penser, du moins en Occident, en plus particulièrement en France, que la frontière ne sépare pas les langues, les ethnies, les religions ce ne sont pas des composantes applicables à la notion, très discutée mais très abstraite, de nation. Le citoyen qui forme le corps de la nation n’est pas citoyen sur des bases linguistiques, ethniques ou religieuses. Il n’en reste pas moins qu’un système de valeurs (même alternatives) construit un ensemble qui, s’opposant même pacifiquement aux autres, définit un dehors. Toujours le même créé de l’autre (il n’y a pas beaucoup de danger, aussi, à ce que le même et l’autre se mélangent et se perdent, puisque précisément l’un ne va pas sans l’autre). La frontière devient le passage privilégié vers l’autre.
Ainsi, il existe toutes sortes de frontières. L’objet de cette petite note consiste à formaliser peut-être, à décrire en tout cas un ensemble à la fois écologique, géographique, culturel que nous appellerons pour l’instant « région naturelle ».
Comment nommer la région naturelle : pays, terroir, territoire ?
Il faut dès l’abord définir la région naturelle.
En effet ce terme porte une connotation qui n’apparaît pas spontanément conforme à la réalité qu’elle désigne la région naturelle est bel et bien une région culturelle, l’association d’un sol et d’un climat, formant paysage lié donc à l’homme. Ce n’est pas exactement un milieu naturel (ou écosystème ou biome) (chapitre 3), mais ce n’est pas non plus complètement une région administrative. C’est une région naturelle au sens où elle est naturellement évidente, logique, voire polylogique (pour ne pas dire écologique).
Comme le rappelle de manière claire et documentée Olivier Grenouilleau[1]Olivier Grenouilleau, Nos petites patries. Identité régionale et État central, en France, des origines à nos jours, Gallimard, 2019., le terme vient du renouveau de l’histoire et de la géographie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, et ne sont pas exemptes d’un certain sursaut nationaliste[2]Ilan Greilsammer, « The Ideological Basis of French Regionalism » Publius n°5/3, p.83-100. Voir aussi Paul Clava, « Le thème régional dans la littérature française », L’Espace … Continue reading.Histoire et géographie sont intimement liées alors (cela changera par la suite) et espace et durée deviennent utiles réciproquement à constituer par ailleurs le cadre renouvelé de la nation et de la république.
Dans l’esprit de ce qui deviendra la géographie humaine de Paul Vidal de la Blache[3]Paul Vidal de la Blache, « Tableau de la géographie de la France » in Ernest Lavisse (dir.), Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution, Hachette ; « Les Pays de … Continue reading, héritière de la théorie des climats de Montesquieu, de la théorie des milieux de Humboldt[4]Sylvie Sagnes, « Les pays de Pierre Foncin », in Ethnographies comparées (revue électronique), 2005/8 (‘Pays, terroirs, territoires’, présenté par Arnauld Chandivert), qui cite cette … Continue reading, nourrie de la réflexion toponymique de Giraud-Soulavie, la notion de territoire devient ce qui associe un espace géographique à une identité et à une culture données. C’est la géologie, éventuellement la botanique, qui définit tout d’abord la « région naturelle » ; à ce moment-là elle est donc exclusivement « naturaliste » (sur les traces de Cuvier et Brongniart). Mais lorsque la Société de géographie de Paris tente d’établir la liste des régions naturelles, le lien se fait rapidement entre géologie, végétation et mode de vie, puis entre géologie, sol et toponyme (je paraphrase ici Grenouilleau, p.156), même si ce dernier pose finalement que l’adéquation entre toponymie et région naturelle est relativement rare.
Dans les mêmes années, le pays ou « petit pays » qui rappelle (sans toutefois se confondre avec lui) le pagus romain est lui exploré par Pierre Foncin[5]Paul Claval, « Le problème régional en géographie », in Géographie et cultures n°100, 2016. Jean-Louis Giraud-Soulavie, Histoire naturelle de la France méridionale, Paris, 7 vol., … Continue reading, qui, comme Vidal, cherche à lier non seulement l’inerte au vivant, puis à l’humain, mais encore, comme on s’en doute, le passé au présent et au futur[6]Le nom de pays/pagus n’est en vérité valable qu’au sein de la zone correspondant à l’influence de la Rome républicaine et impériale, et de la successive domination culturelle de … Continue reading.
Force est de constater alors que le pays nommé et la région naturelle ne correspondent pas toujours tout à fait (parfois se chevauchent, parfois s’écartent), que par conséquent, une donnée politique (et donc historique) vient souvent perturber le bel agencement originel. On note en outre que, dans l’esprit de ces penseurs, il y a quelque idéalisation d’une certaine France rurale (en pleine construction administrative, rappelons-le, à une époque où une partie de son territoire lui est annexée[7]Joseph Fèvre & Henri Hauser, Régions et pays de France, Alcan, 1909.), éternelle et vaguement mythifiée[8]« C’est un beau nom que celui de pays et de paysans. Il n’y a rien de plus ancien, de plus vraiment géographique et par conséquent de plus vénérable que le pays. Chaque pays est un berceau … Continue reading) or on sait l’aversion latente, en France, pour toutes les questions qui touchent à l’état comme à la nation, concept qui a tranquillement transité de la gauche révolutionnaire à l’extrême-droite dans l’inconscient politique collectif, et il n’est pas rare de vérifier que l’existence des pays ou régions naturelles devient un élément fondateur d’une idéologie plutôt conservatrice pour ne pas dire réactionnaire. À cela s’ajoute l’évolution de Vidal de la Blache lui-même qui s’intéresse de plus en plus à l’expression spatiale humaine par excellence, à savoir la ville, et qui songe pour le pays à une organisation régionale centrée autour des villes, c’est-à-dire aux flux commerciaux et autres (un peu comme en Espagne, en Italie ou en Allemagne, mais pour des raisons politiques et historiques différentes). Si ses premiers essais s’appuient sur les régions naturelles de son tableau géographique, il s’abstraira de plus en plus de la donnée strictement géographique pour faire entrer la France dans la « modernité » (en particulier dans son commentaire de 1913 du livre de Gallois).
Il s’agit donc d’être prudent, en maniant ces termes, mais il s’agit aussi d’affirmer positivement l’intérêt de considérer ces espaces géographiques, et notamment en précisant d’emblée ce qu’ils sont et pourquoi ils sont un niveau d’organisation pertinent.
Après quelques années de grande effervescence, la géographie humaine vidalienne s’étiole plusieurs commentateurs indiquent un certain retour en force dans les années d’après-guerre, après que la région s’est imposée comme entité administrative[9]C’est l’objet du livre de Grenouilleau montrer la naissance des entités régionales – et c’est ici que nos chemins se séparent, même si, dans la carte proposée en ligne, le découpage des … Continue reading. Le mot « pays » revient ainsi en force, dans les années 1990 et 2000, mais avec un autre sens, entretenant d’ailleurs une certaine confusion des esprits[10]Il y a une confusion dans le mot même qui est d’une part synonyme approximatif d’état ou nation (les pays du monde). Le mot de terroir est intéressant, bien qu’il véhicule cette connotation … Continue reading et s’incarne en particulier dans la réforme de la loi dite Pasqua-Voynet[11]Plus précisément la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOADT), dite loi Pasqua, reprise et modifiée dans la loi du 25 juin 1999 … Continue reading. Ces lois définissent le pays, non pas comme une unité administrative politique, mais un découpage territorial dédié à des projets d’aménagements (environnementaux, agricoles, socio-culturels), au même titre, par exemple, que le territoire des Parcs naturels régionaux, ou celui des programmes unio-européens. Si ces pays, aux élus volontaires, ont pu s’appuyer sur des réalités voisines des régions naturelles, c’est-à-dire rassembler une certaine identité paysagère, culturelle et sociale, le « bassin de vie », ils ont également souvent créé des entités de toute pièce, selon les desiderata et les influences des représentants locaux. Les pays, pour plus de commodités, se sont également souvent superposés parfaitement aux communautés de communes déjà existantes[12]Une note politique ici les pays ne sont pas des entités politiques mais des territoires de projet ; ils n’ont donc pas strictement de pouvoir politique, administratif, exécutif. L’esprit de la … Continue reading.
Il est toutefois important de noter que cette visée souhaiterait dépasser le simple paradigme de la modernité, quitte pour ce faire à “revenir”, en effet, à la manière d’un René Char, à un état prémoderne du monde, c’est-à-dire avant l’impérialisme européen et occidental, l’hégémonie de la raison au détriment d’autres appréhensions du réel possibles, et le mythe d’un infini progrès incarné par le libéralisme, d’abord sous sa forme capitaliste, et ensuite sous sa forme délétère du néo-libéralisme globalisé.
La forme des régions naturelles : une cartographie
Historique
La tentation est grande alors de réaliser une cartographie de ces terroirs, à partir des éléments à notre disposition, et avec les moyens actuels de l’information géographique digitale.
Or cette carte existe. Elle a d’abord été proposée sous forme de livre, dans deux guides faisant références aux pays, Bénédicte et Jean-Jacques Fénié, et surtout Frédéric Zégierman (dont les premiers s’inspirent), qui a réussi à produire un catalogue raisonné de ces pays[13]Bénédicte et Jean-Jacques Fénié, Dictionnaire des pays et provinces de France, Bordeaux, Sud-Ouest, 2000 Frédéric Zégierman, Le guide des Pays de France, 2 t., Fayard, 1999..
Un contributeur de Wikipédia a publié cette carte sur le site. Enfin, dans le cadre de nos travaux naturalistes, dans le cadre le groupe informel de phytosociologie synusiale (GPS), s’intéressant de près à l’échelle du terroir, notamment dans l’articulation entre phytosociologie et symphytosociologie, c’est-à-dire entre végétation et paysage, le botaniste Raphaël Zumbiehl en a façonné une première version digitale, une couche de leurs limites fondée sur la cartographie en ligne des communes françaises. C’est à partir de cette première couche que nous avons poursuivi le travail, nourrissant notamment la table initiale d’attributs de plus en plus divers.
Méthode
Ces attributs, en fin de compte, ne sont que la liste des composantes de la région naturelle. Nous avons donc dans un premier temps choisi de les lister, éventuellement en les regroupant par thématiques. Nous indiquons ci-dessous cette liste, avec, pour chaque point, la correspondance attributaire de la table, et en indiquant la source mais aussi et surtout l’échelle (commune, département, région ou autre) pour les couches vectorielles, ou bien s’il s’agit de couches matricielles.
La cartographie a été basée sur l’échelle communale c’est elle en effet qui donne ses limites ‘digitales’ ; avec les informations repérables sur internet, le Guide des Pays de France, nos propres ressources, nous avons ainsi fondu les communes dans les entités nouvelles, les régions naturelles ou pays. Cette couche « originelle » est d’ailleurs bientôt modifiée pour mieux correspondre à celle de Zégierman, et en accord avec celui-ci.
Enfin notre couche originale qui synthétise ces deux types de couches, et qui présente une table attributaire avec les différents attributs suivants, chacun associé à un code (colonne suivante).
Attributs | Désignation | Échelle de base | Source | Type |
notre carte originale | nom du pays | commune | notre carte | vectoriel |
aspects administratifs | département | département | Etat | vectoriel |
ancienne région | région I | Etat | vectoriel | |
nouvelle région | région II | Etat | vectoriel | |
Régions I Vidal 1903 | régions | VIDAL 1903 | vectoriel | |
Régions II Vidal 1910 | régions | VIDAL 1910 | vectoriel | |
Treize ensemble 1891 | régions | FONCIN 1891 | vectoriel | |
Igamies 1948 | régions | notre interprétation | vectoriel | |
aspect physico-chimiques | climat | région naturelle | notre interprétation *manuels | vectoriel |
domaine géologique | région naturelle | notre interprétation *manuels | vectoriel | |
roche | région naturelle | BRGM | matriciel | |
pédologie | région naturelle | INRA | matricielle | |
bassin versant | pays (état) | SANDRE | matriciel | |
aspect bioécologiques | domaine biogéographique | région naturelle | notre interprétation *manuels | vectoriel |
type de végétation | région naturelle | notre interprétation *CNRS | vectoriel | |
aspects anthropologiques | type agricole | région naturelle | INRA | vectoriel |
type maison rurale | région naturelle | TACHE | vectoriel | |
type familial | département | TODD | vectoriel | |
type linguistique | région naturelle | manuels | vectoriel | |
type culinaire | région naturelle | manuels | vectoriel | |
vote présidentielles | commune | Ministère de l’Intérieur | vectoriel |
À cette couche originale, on peut évidemment associer n’importe quelle couche géographique qui serve de fond soit strictement topographique (carte d’état-major) soit photographique (orthophoto).
Nous distinguons ensuite deux types de couches les couches exportées d’autres institutions qui peuvent nous permettre d’affiner notre propre cartographie (regroupement de couches intitulé ‘Données’), et les couches qui présentent différents découpages territoriaux (regroupement de couches intitulé ‘Limites’).
Les Limites comprennent non seulement les limites administratives et politiques actuelles (du canton aux nouvelles régions), mais également différents découpages régionaux, projets en particulier d’inspiration vidalienne, qui se fondait, au moins dans un premier temps, sur l’articulation des régions naturelles.
Les Données présentent les couches concernant :
- les silvoécorégions (IFN)
- la carte pédologique (INRA)
- les bassins versants (Sandre)
- la carte géologique et la carte des époques géollogiques (BRGM)
- toutes difficilement adaptables à l’échelle naturorégionale.
Composantes des régions naturelles attributs de la carte
Les pays forment une opération complexe de superposition/juxtaposition/ interpénétrations de caractères propres à différents niveaux et que nous dénommons ici composantes – et qui correspondent donc à différents attributs de la couche originale de régions naturelles. Ces composantes sont les suivantes.
Composantes climatiques, hydrauliques, physico-chimiques. La géographie les étudie depuis toujours : le relief, la géologie, l’hydrologie, mais aussi le climat, la continentalité, la pédologie (les sols), etc.
Ces données sont généralement libres de droits ; la pédologie est le fruit de l’INRA, la géologie du BRGM, l’hydrologie est la production du SANDRE ; pur ce qui concerne la topographie et le relief, l’IGN ; le climat la carte de Köppen (via numérisation par l’Université de Vienne) ; ces couches sont toutes disponibles sur les sites respectifs de ces institutions.
Composantes écologiques. Il s’agit de vérifier les données biogéographiques, en particulier, non pas seulement des peuplements (des espèces) mais des cénoses (des groupes d’espèces) comme les étudie la cénologie (voir le chapitre 5). L’enjeu principal est l’articulation de ces données bioécologiques avec les biomes (grandes unités associant un espace – le bioèce – à un ensemble de cénoses – le biocène). La zoocénologie étant au point mort, la phytosociologie est un relais tout indiqué pour cette tâche, notamment les courants en lien avec la phytogéographie (Gaussen, Ozenda) ou la phytosociologie synusiale intégrée (Julve, Gillet, de Foucault[14]« La phytosociologie synusiale intégrée : objets et concepts, » in Candolea n°46, 1991, p. 315-340).
Cet aspect est le plus difficile à établir il n’existe pas aujourd’hui de cartographie digitale des végétations accessibles ; je me suis donc basé sur une interprétation, à l’échelle de la région naturelle, de la carte du CNRS (1947-1991), en indiquant ce qui me paraissait être la végétation dominante sur la surface du polygone. En cours de fabrication il existe une cartographie des habitats, à l’échelle de l’ensemble du territoire français, sous l’égide du Ministère en charge de l’écologie et avec les Conservatoires botaniques nationaux ; mais ces travaux sont encore largement confidentiels[15]Voir : https://www.ecologie.gouv.fr/programme-carhab.
Composante paysagère. Une fois qu’on a dit que le paysage appelait la pluridisciplinarité, on n’a pas beaucoup avancé. Le pays peut se confondre avec le paysage. Nulle entité plus vague que le paysage, qui associe des données locales objectives (géologie, végétations) et des pratiques anthropiques (cultures, constructions, voies de communication). En un certain sens, région naturelle et paysages se font écho, mais on peut convenir que le paysage est une unité de base du pays il y a plusieurs paysages possibles dans un pays. Les travaux de la symphytosociologie (Géhu), qui considère des ensembles intégrés de végétations (concepts de tesselas, unité géomorphologique, et de catenas plus ou moins synonyme de bassin versant ou d’écocomplexe) (Rivas-Martinez), est une approche qui a au moins le mérite de découler parfaitement de la précédente.
[16]Cf. sur le site de l’IFN : <https ://inventaire-forestier.ign.fr/spip.php ?article686.
Concernant la première partie, nous nous heurtons au même problème qu’au point précédent, à la différence que cette carte est en cours de création (mais nécessitera des années encore de travail), il me paraît donc inutile d’en prétendre une quelconque interprétation à cet instant pour la seconde, la carte est en ligne auprès de l’IFN, mais celle-ci se présente sous la forme de couche vectorielles : l’IFN a dessiné ses propres polygones correspondant aux sylvoécorégions. On est alors libre ou bien de superposer sylvoécorégion et région naturelle ou de procéder à une interprétation digitale d’une couche par l’autre et faire apparaître, au niveau des régions naturelles, la sylvoécorégion « dominante » .
Composante anthropique, pour simplifier, que l’on peut à nouveau diviser en nouvelles sous-composantes :
▪ Sous-composante agricole. Fruit des précédentes, les cultures et activités liées (comme la chasse et la pêche) sont dépendantes du sol et du climat et de l’orographie, et donc de la série de végétation et du complexe édaphogéologique où elles prennent place. Bien sûr on peut toujours cultiver n’importe quoi n’importe où, et de plus en plus, mais dans une logique du moindre effort et surtout pour des raisons économiques, le lien entre le sol/le climat et la production est évidente. L’élevage est également une composante essentielle : le couple bovin versus ovin/caprin structure le territoire aussi certainement que celui, plus vulgaire, de plaine versus montagne.
Ici on peut regrouper les régions agricoles françaises en grands ensemble selon le type de culture ou d’élevage dominant, comme on le voit par exemple dans les manuels scolaires, et l’indiquer simplement pour chaque région naturelle.
▪ Sous-composante architectonique. Telle roche, tel climat produit telle production de matériaux et tel agencement des espaces habités, des espaces de travail, des espaces de productions, mais aussi des lieux sacrés, des lieux de loisirs, des lignes de déplacements et de la voirie, etc. La maison en serait l’unité de base (et plus précisément la maison « paysanne », dans le sillage de la géographie humaine de Paul Vidal de la Blache, cf. Jean-René Trochet[17]Jean-René Trochet, Les maisons paysannes en France, Créaphis, 2007..
Une autre couche difficile à fournir, puisqu’il n’existe pas de travaux digitaux on se base sur le livre, en tentant de dessiner une typologie des espaces habités vernaculaires. Pour l’instant, on s’appuie sur un premier découpage en quatre grands types de maisons paysannes.
▪ Sous-composante historique et socio-politique, qu’on évoquera à peine, car cela nous emmènerait trop loin. Évidemment les évènements historiques, les guerres, les famines, les invasions, etc. modifient durablement les pays. Ce vaste chapitre intéresse les sciences humaines et sociales et en premier lieu l’histoire. L’unité principalement pertinente semble être la structure familiale, telle que définie par Emmanuel Todd une stratification sociétale puis politique s’ensuit, comme il a pu le montrer sur différents sujets d’actualité.
C’est ici à l’échelle du département que nous travaillons, en reprenant les cartes, souvent malheureusement un peu grossières, des ouvrages de Todd. On y ajoute une cartographie des grandes familles linguistiques. Puis viennent, les spécialités culinaires, les accents et, pouyr quoi pas, les votes aux élections présidentielles…
Nombre, taille, dynamique des pays
Bénédicte et Jean-Jacques Fénié dénombrent 546 pays ; Frédéric Zégierman, 426 avec 1800 unités naturelles (c’est donc sur cette dernière liste que nous nous sommes appuyés).
Les microrégions, les régions naturelles, ont une taille raisonnablement humaine. Si les départements sont façonnés pour permettre des déplacements à cheval qui n’excèdent pas une journée, les pays pourraient presque être parcourus (traversés) par un homme à pied dans le même laps. Et si l’on regarde la carte (ci-dessous), en effet, elles sont à peu près équivalentes. Bien sûr certains massifs montagneux présentent des pays plus vastes, mais c’est surtout les grandes plaines du nord qui présentent les territoires les plus étendus (en effet, il y a peu de changement du tissu sur de nombreux kilomètres et pas d’accident naturel pour séparer des entités potentielles).
Ensuite il convient de se demander si les pays, comme toute chose dans ce monde, sont sujets à évolution. C’est très étonnant que des survivances médiévales, préclassiques, et même plus anciennes encore (les pagus) aient survécu et soient passées au travers d’au moins quatre ères historiques (Antiquité, Moyen Âge, Âge classique et notre Contemporain). Les pays changent, avec le temps, par adjonction ou exclusion d’une portion (comme une commune par exemple), et on peut imaginer que le flou actuel entre pays naturel, pays au sens de bassin de vie et communauté de communes pourra générer de nouveaux territoires il n’y a qu’à songer à la manière dont les départements ont efficacement infiltré les imaginaires collectifs : leurs habitants se les sont appropriés.
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References
↑1 | Olivier Grenouilleau, Nos petites patries. Identité régionale et État central, en France, des origines à nos jours, Gallimard, 2019. |
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↑2 | Ilan Greilsammer, « The Ideological Basis of French Regionalism » Publius n°5/3, p.83-100. Voir aussi Paul Clava, « Le thème régional dans la littérature française », L’Espace Géographique, n°16/1, p.60-73. « C’est du sursaut de nationalisme de la fin du XIXe siècle que sort en définitive le régionalisme. Il y a là un paradoxe : comment est-il possible que ceux-là mêmes qui sont le plus attachés à l’unité du pays et à son intégrité y découvrent le sens des réalités locales et régionales ? » |
↑3 | Paul Vidal de la Blache, « Tableau de la géographie de la France » in Ernest Lavisse (dir.), Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution, Hachette ; « Les Pays de France », in Réforme sociale n°5/8, pp.333-344, 1904. |
↑4 | Sylvie Sagnes, « Les pays de Pierre Foncin », in Ethnographies comparées (revue électronique), 2005/8 (‘Pays, terroirs, territoires’, présenté par Arnauld Chandivert), qui cite cette évidence : « Nos départements granitiques produisent, sur tous les usages de la vie des hommes, d’autres effets que le calcaire : on ne se logera, on ne se nourrira, le peuple, on peut le dire, ne pensera jamais en Limousin ou en Basse-Bretagne, comme en Champagne ou en Normandie. Il n’est pas jusqu’aux résultats de la conscription qui n’aient été différents, et différents d’une manière fixe sur les différents sols » (Cuvier, 1818 : 127). |
↑5 | Paul Claval, « Le problème régional en géographie », in Géographie et cultures n°100, 2016. Jean-Louis Giraud-Soulavie, Histoire naturelle de la France méridionale, Paris, 7 vol., 1780-1784 ; Antoine Passi, Description géologique du département de la Seine inférieure, Impr. Nicétas Périaux, 1832 ; « Essai sur les limites naturelles de la France », in Recueil des Travaux de la Société libre d’Agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l’Eure n°3/5, pp. 129-150, 1857-58 ; Lucien Gallois, Régions naturelles et Noms de pays. Étude de la région parisienne, A.Colin, 1908 ; Pierre Foncin, Les pays de France. Projet de fédéralisme administratif, A.Colin, 1898. |
↑6 | Le nom de pays/pagus n’est en vérité valable qu’au sein de la zone correspondant à l’influence de la Rome républicaine et impériale, et de la successive domination culturelle de l’Église romaine catholique. Et donc particulièrement en France. En effet, cette articulation storico-géographique a particulièrement « pris » dans le cadre gallo-romain. L’italien possède un mot un peu malheureux pour ces réalités infraterritoriales : la subregione, mais il use volontiers le territorio. L’allemand et l’anglais ont leurs mots, mais ils correspondent assez à un usage politique de l’espace : Gau (remis au goût du jour par le nazisme, et donc effacé depuis), et shire. Ils sont très similaires à notre pays. L’espagnol, qui traduit volontiers les termes país ou subregión, dispose également de la comarca (« comarque »), qui a une forte valeur administrative, mais dont on lit, parfois, qu’il correspond également à une région naturelle cohérente. |
↑7 | Joseph Fèvre & Henri Hauser, Régions et pays de France, Alcan, 1909. |
↑8 | « C’est un beau nom que celui de pays et de paysans. Il n’y a rien de plus ancien, de plus vraiment géographique et par conséquent de plus vénérable que le pays. Chaque pays est un berceau sculpté par la nature, doté par elle d’un charme particulier et d’un parfum vivant. Chaque pays est le creuset d’un peuple en miniature que la communauté des besoins et des ressources, puis des traditions, des souvenirs et du langage, enfin des devoirs, a lentement organisé. Pour tout dire, c’est la petite patrie dans la grande » (Foncin, 1904, « Discours à la distribution des prix du Lycée Hoche », L’Action régionaliste n°11, cité par Sylvie Sagnes, art.cit. |
↑9 | C’est l’objet du livre de Grenouilleau montrer la naissance des entités régionales – et c’est ici que nos chemins se séparent, même si, dans la carte proposée en ligne, le découpage des régions est un indicateur extrêmement intéressant et pertinent.Grenouilleau op cit, passim ; voir également Jean-Alain Héraud et Henri Nonn, « La notion de Pays : racines, identités et projets territoriaux », Association de prospective rhénane, <https ://www.apr-strasbourg.org/docutheques/la-notion-de-pays-racines-identites-et-projets-territoriaux/>, et Claval, op cit. Voir Arnaud Brennetot et Sophie de Ruffray, « Découper la France en régions », Cybergeo : European Journal of Geography, <http ://journals.openedition.org/cybergeo/26376> |
↑10 | Il y a une confusion dans le mot même qui est d’une part synonyme approximatif d’état ou nation (les pays du monde). Le mot de terroir est intéressant, bien qu’il véhicule cette connotation réactionnaire, liée sans doute au mot de « terre », ou bien uniquement agricole/gastronomique. L’usage est également très nettement agronomique ou agroalimentaire, et lié à des productions agricoles particulières, et en particulier au vin et à ses cépages (l’anglais a importé le mot terroir pour l’unique usage vitivinicole.). On pourrait se diriger, alors, vers le mot de territoire, mais celui-ci, outre l’acception écologique d’espace occupé par le ou les membre(s) d’une espèce, présente une forte connotation organisationnelle : le territoire est un espace géré, un espace souvent humain, un espace impliquant une fonctionnalité de l’espace : c’est une terre que l’on habite. Il est celui de telle espèce animale, par exemple, mais aussi celui de chacun de nous lorsqu’il réalise les fonctions d’habitation : se nourrir/travail, se déplacer, se reproduire/loisir. C’est pourquoi, sans s’empêcher de parler de territoire, de terroir ou de pays, le terme de région naturelle nous apparaît comme le mieux adapté. |
↑11 | Plus précisément la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOADT), dite loi Pasqua, reprise et modifiée dans la loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT), dite loi Voynet. |
↑12 | Une note politique ici les pays ne sont pas des entités politiques mais des territoires de projet ; ils n’ont donc pas strictement de pouvoir politique, administratif, exécutif. L’esprit de la loi les associe fermement (dans leur financement) aux régions et/ou aux communautés de communes. On note que ces deux échelons politiques (cette fois) sont également ceux qui échappent le plus au contrôle des citoyens, puisque les deux modes d’élections ne sont pas directs, contrairement (au moins à l’origine) aux communes et aux départements. Les élections régionales prévoient « un scrutin de liste, à deux tours, avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, se combinant avec une prime majoritaire » ; les représentants aux communautés de communes étaient jusqu’à récemment des élus choisis par les conseils municipaux ; ils sont maintenant élus directement, ce qui est une évolution positive, mais l’on sait que cet aménagement a pour horizon la disparition des communes, jugées trop nombreuses. Dans toutes ces réflexions, il convient de se rappeler le rôle disons… pénétrant, de l’Union européenne, friande de régions géantes (eurorégions), comme celles, rénovées, de la récente réforme territoriale en France, et surtout du décrochage entre territoire politique et vie quotidienne du citoyen. C’est pourquoi aussi le pays, la région naturelle, nous importent : mais c’est aussi pourquoi il y a une telle insistance dans les milieux libéraux pour en faire de folkloriques enveloppes vidées de sens politique. |
↑13 | Bénédicte et Jean-Jacques Fénié, Dictionnaire des pays et provinces de France, Bordeaux, Sud-Ouest, 2000 Frédéric Zégierman, Le guide des Pays de France, 2 t., Fayard, 1999. |
↑14 | « La phytosociologie synusiale intégrée : objets et concepts, » in Candolea n°46, 1991, p. 315-340 |
↑15 | Voir : https://www.ecologie.gouv.fr/programme-carhab |
↑16 | Cf. sur le site de l’IFN : <https ://inventaire-forestier.ign.fr/spip.php ?article686 |
↑17 | Jean-René Trochet, Les maisons paysannes en France, Créaphis, 2007. |