Nagoya mon amour

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Interlude. Le retour de la tourbière basse alcaline < Nagoya mon amour > L’arbre qui plantait des hommes

 

Texte mis à jour le 23 mars 22.

 

Prolégomènes pour les chapitres qui suivent

La critique a pour forme ou symptôme l’inquiétude. L’inquiétude a pour forme ou symptôme la disjonction : une porte, en somme. Contre le discours d’invention (la fiction), d’information (la chronique), de constatation (la diagnose), la critique, sans forcément atteindre son but, est comme une épreuve expérimentale des faits, les faits passés au crible du doute : on ne choisit pas une route, on n’en laisse pas une, les deux en même temps sont empruntées ; en ce sens elle est une clinique, oui.

Les questions que je pose dans les pages qui suivent, mais aussi dans les derniers chapitres de cet ouvrage, vont sembler à bien des lecteurs aussi factuels que polémiques, l’exposition contemporaine de faits comme de positions, or il n’en est rien.

Pour être tout à fait honnête (donc tout à fait cohérent), on ne peut d’un côté élire le doute comme motum, l’aporie comme solution, l’impasse comme esthétique, et, dans le même temps, rejeter ce qui échappe à la lumière, laisser dans l’ombre l’ombre même, s’arrêter à des lignes stables et nettes découpées dans l’espace. En quelque sorte, le doute comme la critique ont l’ambition d’une tautologie, et croient pouvoir embrasser l’univers entier : car sans méthode, sans trace, et sans stratégie, sans boussole, par la force des choses il n’y a plus de limite, et tout passe sous son inexorable crible.

Dans cet ordre des choses, toute science au sens classique du terme, apparaît comme une effrayante réduction du réel, d’un effroyable rabougrissement des dimensions et donc des possibles. La science moderne, en ce sens, est extrêmement bourgeoise, voire petite bourgeoise, et ceci suffirait-il à expliquer ou commencer d’expliquer son actuel rayonnement (et son évident aveuglement) sur bien des points ?

J’ajoute une autre remarque : les trois textes qui s’ouvrent ici, en vérité, ne racontent tous que la même chose : la substitution de l’homme par l’homme, l’abandon devant les forces néolibérales, et la dynamique de l’écologisme comme arme politique au service du néolibéralisme. La protection de la nature nous offre un spectacle éclatant de cette fâcheuse tendance.

 

Protéger pourquoi faire ?

Cette question abrupte est celle, littérale, que pose la Tribune de Paris, une émission du Programme national de la RDF, en 1948, à l’occasion de l’évènement en un sens historique qui se déroule cette même année au château de Fontainebleau : la création de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), en collaboration avec l’Unesco.

Le programme, très court, nous donne plusieurs informations : outre qu’il existe déjà des réserves en France (celle des Sept Îles, qui a vu la création de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) en 1912, sous l’égide la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN) qui, en 1927, est à l’origine de celle de Camargue…), que Fontainebleau a été choisi justement par l’existence de l’école de Barbizon (étrange ironie du sort : c’est par l’art qu’on aborde d’abord la nature) ; que c’est aussi la rareté qui fait l’intérêt de ce qu’on appellerait aujourd’hui la biodiversité du massif ; enfin que l’Unesco voit là aussi l’intérêt des utilités de la nature pour l’homme, avec deux versant, l’un humaniste, évidemment, l’autre plus rationnel (anglo-saxon, HuxleysienDe Julian Sorell Huxley, frère de l’écrivain Aldous et du biophysicien Andrew : biologiste, théoricien de l’eugénisme, il a été le premier directeur de l’UNESCO et a fondé le World Wild Fund for Nature (WWF).).

Mais alors protéger pourquoi faire, cela veut dire : protéger, qu’est-ce que c’est ?

L’expérience est le fruit de la répétition, répétition de l’observation des habitats et des paysages, reconnaissance des cénoses, détermination des espèces par le biais des clefs de détermination… tous ces outils appartiennent à la besace du naturaliste, avec sa loupe, son opinel, son petit marteau, son carnet. La difficulté étant précisément de saisir la complexité du réseau d’interrelations qu’entretiennent géosphère, biosphère et noosphère. Car oui, ce sont bien les espaces proches des activités humaines qui sont aujourd’hui l’essentiel des actions de conservation ou de gestion.

Dans le cadre d’une société apaisée, il n’est pas du tout idiot d’employer le naturaliste et ses compétences pour la réalisation de ces nobles objectifs. Dans une société en friction permanente, obnubilée par le profit, la jouissance individuelle et l’accaparement de toutes les ressources, mêmes les ressources immatérielles ou patrimoniales, l’usage du naturaliste n’est plus du tout anodin – ou en tout cas évident.

Son savoir va être utilisé, parfois dévoyé, à des fins mercantiles. Ainsi en va-t-il de la protection de la nature d’abord dédiée à l’instauration de zone franches, précisément à une époque de fort développement économique. Dans un pays qui trouvera dans le vingtième siècle sa vocation impérialiste (Yellowstone, 1890), on aurait pu douter de son action désintéressée ; depuis la réalité de la globalisation, hélas, on ne peut qu’apporter un regard rétrospectif sur ce que « conserver » veut dire.

Face à cette prémisse américaine, observons ce qui se passe en France[1]À défaut de ce qui se passe en Europe. De ce point de vue-là, je n’ai pas les idées aussi claires : les pays du sud ne semblent pas s’y intéresser aussi intensément jusqu’à la directive … Continue reading.

La protection de la nature en France, dans son acception moderne, c’est-à-dire l’application politique de la prise de conscience écologique, naît dans les Trente Glorieuses (notons-le) en particulier au travers du droit (transversal) de l’environnement : loi sur les Parcs nationaux en 1960, loi sur l’Eau en 1964, création du ministère de l’Écologie en 1971 ; la première loi de protection de la nature, devenant d’intérêt général, date de 1976. On note que ce sont des régimes dits « de droite » que le droit de l’environnement naît et s’affirme[2]On ne retiendra qu’un fait amusant : le tout premier parc national français est institué… en Algérie (alors française), le parc de Teniet el Had, et d’autres suivirent dans les colonies … Continue reading. Dans le même temps, sur cette même période, la science écologique française occupe un espace considérable, en particulier dans le domaine des sciences naturelles, héritière d’une myriade de sociétés naturalistes locales ayant produit de dizaines et des dizaines de pages de revues spécialisées. En l’espèce, le CNRS, dans les années 50 et 60 fait figure de modèle.

On a cité la création du parc national (du concept et du premier parc) en 1890 aux USA. Avant les années 50 et 60 en effet, de nombreuses dispositions ont déjà pris en compte la défense du patrimoine – non strictement naturel, mais dont l’environnement apparaît comme un élément constitutif majeur. Les Lumières avaient consacré le scientifique (alors souvent naturaliste), et le Museum naît en 1794. En 1861, la forêt de Fontainebleau devient réserve artistique et, de fait, la première « aire protégée » au sens actuel du terme, du monde occidental moderne. En 1930 la loi sur les sites classés ou inscrits est l’une des premières à considérer le patrimoine naturel.

Au sortir de la guerre, il y a évidemment d’autres préoccupations. Toutefois, après la fondation de l’UICN en 1947, vient le tour, en 1958, de la Commission des Aires protégées. Sur l’élan internationaliste incarné par l’ONU et l’UNESCO, différentes conventions sont signées : programme Homme et biosphère en 1971, convention de Ramsar la même année, et différentes organisations créées ou s’emparant des questions environnementales : premier Sommet de la Terre du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en 1972 ; rapport du Club de Rome Les limites à la croissance la même année…

Ainsi donc, l’écologie, qui est devenue une science qui se respecte (avec l’écosystème comme objet d’étude, depuis 1935 : chapitre cinq) épouse les aspirations sociétales du moment et peu après la naissance d’un ministère de l’écologie (aussi probablement que pour le centre Beaubourg, sous la présidence Pompidou), les mouvements écologistes, René Dumont, agronome de son état, est le premier à se présenter comme candidat écologistes aux élections présidentielles de 1974. La gauche mitterrandienne (celle qui s’affirme promotrice du néolibéralisme à partir de 1983) voit dans l’écologie une aubaine, un terreau fertile à ses idées changeantes, comme elle l’avait vu dans le multiculturalisme ou dans les sciences humaines à la sauce « Fench Theory[3]Le livre de Bernard Charbonneau, Feu vert (L’Echappée, 2022), paru en 1980, qui retrace les fondements politiques de l’écologisme, n’est de ce point de vue-là, dupe d’aucune habileté ou … Continue reading ».

À partir de ce moment-là, le sentiment écologiste va se diffuser, lentement mais sûrement, dans toute la société française, européenne et mondiale. Les catastrophes (marées noires avec les naufrages de l’Amoco Cadiz et de l’Erika, nucléaire avec l’accident de la centrale de Tchernobyl) vont nourrir aussi le mouvement en pleine dynamique de l’altermondialisme. En 1992, le monde entier participe et applaudit à Convention sur la diversité biologique de Rio de Janeiro en 1992.

C’est précisément dans ces années-là, je pense qu’on peut le dire aujourd’hui, que se situe la fin d’un monde qui était né probablement en 1914, peut-être même longtemps auparavant. Dans les années 90, la montée en puissance de la globalisation, la victoire des classes dominantes qu’accompagne la « sécession des élites », la libéralisation de tous les services publics et la brouille politique spectaculairement soulignée par tous les premiers Verts entrant au palais Bourbon en 1997, sont contemporains de la prise en considération généralisée dans la sphère publique de l’état de conservation des espèces comme des habitats. En 1992 paraît la Directive de l’Union européenne dite « Habitats », cousine de celle déjà active pour les oiseaux datant de 1979.

À Rio, Jacques Chirac, sous la plume de Nicolas Hulot, déclare au monde entier que « la maison brûle ». Trente ans plus tard, l’incendie, à en croire les experts, est toujours vif, à se demander si les pompiers n’ont pas été eux-mêmes des pyromanes.

 

Au commencement était l’oiseau

Les textes sacrés ne nous l’enseignent-ils pas ? La colombe au rameau d’olivier n’est-elle pas la promesse de la grâce renouvelée, en l’occurrence de la terre ferme ?

Il faut le dire, la protection de la nature est, à l’origine, le fruit des ornithologues. Aux côtés des paysages, les oiseaux, le Macareux moine en l’occurrence, permettent la création de la première réserve naturelle des Sept Îles, dans les Côtes du Nord d’alors. L’accent est alors mis sur les habitants des habitats, et l’ornithologie représente le point de départ de la prise de conscience conservatrice, de la naissance de la protection de la nature.

J’ai beaucoup de mal à saisir pourquoi les oiseaux ont ainsi pu susciter autant d’intérêt, et provoquer ainsi l’éveil de la conscience naturaliste, dès l’origine. J’ai du mal à ne pas voir quelque chose d’un peu mystique dans cet intérêt, et il évoque vaguement chez moi la figure de Saint François d’Assise.

Je ne suis pas idiot, toutefois, et je constate bien qu’il est plus facile de s’émerveiller du chant, des couleurs et des pirouettes de l’oiseau, plutôt que du grouillement des blattes ou de l’effort gluant du ver. Mais je ne peux non plus m’empêcher d’associer l’ornithophilie à l’espèce d’obsession qui saisit les botanistes au sujet des orchidées : à vrai dire c’est à peu près le même débat. Les orchidées sont, dans l’imaginaire collectif occidental (ou français) actuel, des plantes protégées ou à protéger à tout prix. Ce n’est pas le cas, certaines sont même extrêmement banales, et en Provence nous avons même une espèce qui pourrait être qualifiée d’invasive (si ce genre de qualificatif n’était en directe contradiction avec ces pages et ce qui va suivre).

Dans le chapitre suivant, je note que cette passion s’est aujourd’hui transférée également aux arbres, et j’indique l’espèce de gradation qu’il existe dans l’attention pour les espèces sauvages selon le degré de ressemblance avec l’être humain. Pour ce qui concerne les oiseaux et les orchidées, c’est d’un autre type de distinction qu’il est question – il n’en reste pas moins une axiologie. Le premier élément est l’esthétique : le martin-pécheur, le rollier, le guêpier, fascinent par leurs couleurs, tout comme les ophrys et les orchis. Le second élément tient précisément aux facultés que ces espèces font que l’homme ne sait pas faire ou, au contraire, des qualités que ces espèces font mieux que ne le peuvent l’être humain : les oiseaux maîtrisent mieux la musique, ou la note et le ton, beaucoup mieux que le meilleur de nos virtuoses. Ce qui est certain, c’est que les plantes ne sont pas des animaux (ça c’est facile), et que les oiseaux volent, quand les hommes non. Ce que savent faire à la perfection les orchidées est plus subtil : la faculté de tromper l’insecte, de le séduire, de le manipuler ? Peut-être. L’analogie esthétique entre les deux (ou avec les beaux insectes tropicaux) est en revanche évidente.

Quoi qu’il en soit cela n’est pas totalement incohérent au regard du point auquel finalement je voudrais en venir pour les avoir beaucoup fréquentés, les uns comme les autres, ornithopathes comme orchidopathes. Ce qui m’a toujours frappé est leur relatif désintérêt pour l’écologie (dans notre sens), je veux dire pour les relations réciproques entre les différents règnes du vivant, l’approche du biocène dans son ensemble – et donc l’émergence de problématiques strictement cénologiques ; ils ne se soucient guère non plus du bioèce des oiseaux, du moins dans sa complexité – et donc de l’hypothèse de l’étude de problématiques strictement mésologiques.

Une première explication touche à leur objet même : les oiseaux ne sont pas de « grands » bio-indicateurs : leur capacité de vol, leur vagilité, leur permet un grand cosmopolitisme, et, sauf quelques espèces strictement inféodées (notamment à l’eau) leur poids écologique est, en quelque sorte, faible. La même chose peut être dite des orchidées : en Europe en tout cas, la plupart vivent dans les pelouses (qui sont souvent des prairies, voire des friches) ; là encore, il y a des exceptions (le vivant est le règne de l’exception) mais un phytosociologue vous le dira : orchis et ophrys sont, pour ainsi dire, accessoires dans un ensemble d’espèces au sein d’un habitat. Il faudrait vérifier leur comportement sous les tropiques (je n’y connais rien), mais leur type biologique le plus souvent épiphyte semble nourrir cette opinion.

Le spécialiste de cette sorte d’êtres vivants semble les considérer pour eux-mêmes, pour leur propre splendeur et leur propre génie. En cela ils me font rudement penser au comportement du collectionneur. N’entend-on pas régulièrement les ornithophiles s’émouvoir de n’avoir pas « fait la coche » ?

« Faire la coche » peut bien être un passe-temps essentiel : soyons honnêtes, tous les naturalistes ont quelque chose de ça (voir le chapitre 11 sur mon herbier, mon coquillier), une certaine propension à classer, et donc à trouver les items à classer ; je sais bien encore – c’est mon métier ! – qu’on fait des listes, et que les listes ont vocation idéale à être complètes… ; et qu’on aime ça !; et que bien entendu tous les ornithophiles ou orchidophiles ne sont pas comme ça, et qu’il y a parmi eux de vrais écologues et d’excellents naturalistes. J’exagère à dessein. Je sais bien aussi que tous les naturalistes ont une fibre naturaliste.

Je le dis sans rougir pourtant, c’est d’autant plus paradoxal qu’ils sont à l’origine des classements et des réserves, mais je trouve qu’il y a quelque chose de commun entre l’orchidophile-ornithophile et… le chasseur

C’est d’autant plus frustrant (pour un malacologue ou un vermicologue par exemple), que toutes les espèces d’oiseaux sont protégées, tout comme les reptiles (les oiseaux sont des reptiles qui ont réussi) et les amphibiens (qui sont des « presque-reptiles ») d’ailleurs, quand un tiers seulement des plantes le sont, ou 29 % ds poissons, ou 6 % de mollusques, et aucun ver, lichen, bactérie. Il y a probablement une polarisation excessive sur le clade Aves, je crois qu’on peut le dire sans sourciller : il y a d’ailleurs une directive européenne surnommée ‘Oiseaux’, mais il n’y en a pas pour les autres groupes ?

 

Protection ou conservation ?

La protection de la nature est donc cette pratique qui décide, par le droit, que certaines espèces ou leurs habitats, étant menacés, en particulier par l’action de l’homme, sont protégés, à divers degrés, soit strictement, soit en certaines périodes, en certains territoires, en certaines saisons de leur vie, ou en certains de leurs effectifs.

On entre ici dans un discours passablement épineux. Je laisse pour l’instant de côté la responsabilité de qui protège en conscience : avons-nous la connaissance suffisante de la biosphère ? Ne protégeons-nous pas certaines espèces au détriment d’autres espèces ? ’y a-t-il pas une certaine hybris à décider pour d’autres, quand même nous faisons partie, dit-on, du même monde ? Toutes ces questions, également importantes, relèvent d’un autre domaine de réflexion, que j’aborde à peu près dans les chapitres suivants sur l’anthropocène (9) et la « catatropholâtrie » (10).

Pour ce qui concerne nos amis orchidornithophiles, et tous les autres, l’opération de protection est une opération complexe qui implique plusieurs agents :

  1. une connaissance accrue des espèces et/ou des habitats non seulement dans leur biologie, mais aussi dans leur écologie, leur morphologie comme leur cénologie…
  2. un constat diagnostic : qu’il existe une dégradation des effectifs d’une population entre deux dates données ou deux espaces donnés. Ceci suppose : 1. d’être en mesure de faire cette évaluation ; 2. un laps de temps plus ou moins long, mais pas trop court pour ne pas interférer avec des fluctuations naturelles des effectifs ;
  3. une certaine confiance dans l’action de protection.

En théorie de l’information, on pourrait pratiquement parler d’une possible boucle de rétroaction.

 

1 2 3
état des lieux évaluation action
réaction réaction réaction

 

Simplement, chaque étape suppose qu’un certain nombre de questionnements soient apurés… en premier lieu que l’état des lieux soit réputé aussi complet qu’objectif, la difficulté tenant justement que le système auquel s’applique la boucle est… vivant, en constante évolution lui-même, et en situation d’échange permanent avec les systèmes voisins (et je ne parle pas seulement d’énergie et de matière, mais aussi d’échange d’espèces, et même d’échange de gènes, bref de particules elles-mêmes vivantes).

Ceci en vérité n’est guère possible que dans un monde de laborantin plus ou moins démiurge de ses cornues et réactifs.

Dans la nature, à part les problèmes liés au vivant (à la nature de la nature et à l’aporie déjà évoquée, dans le chapitre 2) à peine cité, il faut compter aussi avec l’humeur de l’observateur : Dieu, s’il existait, ne serait sujet ni à la fatigue ou à l’angoisse, mais encore moins à l’esthétique ou à la sensiblerie. Dans un texte de jeunesse, que j’ai passablement repris à la racine, j’évoquais trois manières d’appréhender la nature que j’avais associées à des « effets », comme les techniciens aiment à citer :

  • l’effet loup consiste à protéger des espèces qui sont des concurrents directs des espèces humaines, dans l’ordre de la prédation l’une des atteintes plus grave de l’humain sur la vie biologique et sa substitution à toute autre forme de prédation : ainsi l’ours, le loup ou l’aigle royal, l’orque ou le saumon représentent-ils des espèces protégées par effet de similarité/cannibalisme : culpabilité (on est exactement dans le cadre du mimétisme à la René Girard[4]S’il est premier, il est aussi fondateur : Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1977.) ;
  • l’effet panda consiste à protéger des espèces qui apparaissent comme les grands perdants de la jungle naturelle ; ces animaux, réputés « mignons », comme le panda, le panda roux, le raton-laveur, ou moins le phoque (dans sa forme larvaire), le tétras-lyre, évidemment en danger suite à la dynamique de leurs habitats ; ces espèces sont protégées par une espèce de sensiblerie, dont les ONG se servent d’ailleurs abusivement ; si la sélection fait précisément ce travail, quelle bouffée d’orgueil prend l’être humain dans leur extravagante conservation ?
  • l’effet pokémon est directement lié au slogan de cette franchise[5]Les pokémons peuplent un monde imaginaire créé par Satori Tajiri, à l’origine pour un jeu électronique mais décliné rapidement dans toutes les dimensions qu’une franchise commerciale … Continue reading « Collectionne-les tous ! » Il transcende et « aboutit » – en le dénaturant, sans jeu de mot – le sentiment du protecteur de la nature.

Devant ces trois êtres merveilleux et fantasmagoriques : le monstre, la peluche et l’avatar, la question la plus importante, peut-être, au-delà de ces effets disons collatéraux, demeure « pourquoi protéger ? », « qu’est-ce que protéger ? » et « protéger de quoi ? » sont des questions qui arrivent tout de suite après. Essayons de défricher ce terrain.

  • on protège ce qui est rare ; rare, l’élément tend plus facilement/rapidement à la valeur nulle ;
  • on protège aussi ce qui est menacé ; on constate que telle ou telle action détruit, endommage ou perturbe, ou menace une chose ;
  • on protège ce qui est utile ; utile à notre propre développement ;

On passe donc ainsi progressivement d’une espèce de sanctuarisation à un processus différent : une restauration, puis une conservation. Cette triade a trouvé son mantra dans la formule aujourd’hui à la mode, la « doctrine ERC[6]>On passera sur l’horripilante habitude de créer des acronymes partout, pour tout, et en particulier pour les processus ou les entités qui gravitent autour du seul dogme technocratique, … Continue reading : éviter, réduire, compenser[7]Je prends cet exemple parce que c’est une lubie du moment, il y a fort à parier que dans cinq années, le slogan (et la méthode) sera un autre..

Cette espèce d’équation explique bien ce qu’il est en train de se passer, ce qu’il se passe : on évite de toucher à l’entité naturelle (gène, espèce, habitat), manière de dire qu’on ne pourra pas ne pas le faire, et que par conséquent on va chercher à réduire les impacts, et comme cela ne suffira pas, que l’on devra compenser ces impacts (négatifs, cela va sans dire). Rare, menacé, utile, deviennent, par un retour grammatical qui transforme le mode passif en actif : éviter (le rare), réduire (le menacé), compenser (l’utile). Ou pour le dire autrement : lorsqu’on passe de l’essence ontologique d’un étant à sa mise en attribut par l’affectation d’un poids ou d’un prix, on passe sans le dire de sa valeur qualitative (qui reste une valeur, mais subjective) à sa valeur quantitative : on la place sur une balance, c’est-à-dire sur un marché…

Avec les années, la protection se mue en biologie de la conservation, « une étape importante dans le projet de connaissance du vivant[8]Christine Biermann & Becky Mansfield, « Biodiversity, purity, and death : conservation biology as biopolitics », in Environment and Planning D : Sciety and Space n°32/2, 2014, p.257-273. » comme le notent Isabelle Arpin, Florian Charvolin et Agnès Fortier en ouverture du remarquable (et rare) dossier dédié aux naturalistes de terrain.

Les biologistes de la conservation sont à l’origine de la notion de biodiversité et de son inscription sur les agendas scientifique et politique. Ils sont animés par un esprit de mission et entendent se donner les moyens de maintenir la biodiversité dans un état de « bonne santé » à l’échelle planétaire. Leur logique tranche avec celle des protecteurs de la nature qui se caractérisait par une double disjonction : séparation entre l’homme et la nature d’une part et, d’autre part, division entre rapports à la nture selon les espèces et les espaces (les êtres vivants sont exploités, combattus ou protégés selon l’espèce à laquelle ils appartiennent et le lieu où ils se trouvent). Les biologistes de la conservation, eux, incluent les hommes et leurs activités dans la biodiversité ; ils mettent en scène les menaces qui pèsent sur cette dernière et prônent une logique de pilotage applicable partout et à tout le vivant, dans une visée de préservation de la biodiversité[9]« Les inventaires naturalistes : des pratiques aux modes de gouvernement », in Études rurales n° 195, 2015, p.11-26..

 

Vers la biodiversité

Définir est utile mais peut également se révéler spécieux : il réduit les explorations marginales d’un terme, là où les sèmes se mélangent, et le “rigidifie” dans une acception pratiquement définitive. Pour le mot biodiversité, on recourt généralement à trois premières définitions : la biodiversité spécifique où la variété d’êtres vivants présentes en un lieu donné ; cette définition très générale s’étaie de deux compléments : en “amont”, la biodiversité génétique, c’est-à-dire la variété des gènes (par exemple au sein d’une même espèce) ; en “aval”, la biodiversité écologique, c’est-à-dire la variété des habitats.

Cette définition nécessite alors, rapidement, qu’on s’entende sur une définition commune du vivant. Qu’est-ce qui est vivant ? Une définition simple consiste à considérer comme être vivant ce qui associe les trois (et toutes les trois en même temps) propriétés suivantes (Joël de Rosnay) : l’autoconservation (qui est la capacité des organismes à se maintenir en vie par l’assimilation, la nutrition, les réactions énergétiques de fermentation et de respiration), l’autoreproduction (leur possibilité de propager la vie) et l’autorégulation (les fonctions de coordination, de synchronisation et de contrôle des réactions d’ensemble). On peut éventuellement inclure l’évolution comme la dynamique générale du vivant au-delà des entités de l’individu et de l’espèce.

C’est ainsi que, pour autant qu’ils sont organiques (constitués de cellules organiques) ou produits par un organisme, les graines et les spores, les gamètes, les virus, certaines variétés et races (agricoles par exemple), certaines formes cybernétiques ne sont pas des êtres vivants en tant que tels.

Les virus, par exemple, sont tantôt considérés comme des êtres vivants, tantôt non : bien que constitués de séquences d’ADN ou d’ARN, ils ne disposent pas de la fonction métabolique. Le feu, qui réalise la fonction d’oxydation propre à la digestion, n’est pas un être vivant. Le mouvement n’est pas un critère suffisant pour définir le vivant, et l’eau et le vent ne sauraient en être.

Ce sont les critères qui définissent le vivant qui vont donc inclure ou exclure des organismes. La question qu’on peut poser également dès l’abord : les pokémons sont-ils des êtres vivants ? Dieu est-il un être vivant ? En tout état de cause, on ne peut nier que les pokémons ou les dieux sont des êtres vivants.

Cet aveuglement est à ce point tel que l’ensemble des commentateurs ont applaudi lorsque s’est déroulée la Conférence des parties sur la convention de la diversité biologique à Nagoya du 18 au 29 octobre 2010.

Or cette conférence a clairement exposé ses intentions et ses actions : la biodiversité est au service de l’être humain ; sa connaissance est primordiale (il faut donc poursuivre les recherches, favoriser les cartographies, notamment les cartographies d’espèces protégées et les cartographies d’habitats), tout comme sa préservation. La biodiversité, une fois inventoriée puis évaluée, devient une ressource comme les autres : elle va pouvoir revêtir une valeur fiduciaire, financière; et pénétrer ainsi sur le marché. On trouve aujourd’hui de nombreux rapports sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité.

L’Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire a pour sa part identifié quatre catégories de « services pour l’homme[10]Voir par exemple: ; ; ; ; ou encore, de Bernard Chevassus-Au-Louis, Jean-Michel Salles, Jean-Luc Pujol, Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes – … Continue reading » :

  • les services support ; ce sont les sols pour l’agriculture par exemple ;
  • les services d’approvisionnement ; eau, chasse et pêche, etc ;
  • les services de régulation ; concernant par exemple le climat ;
  • les services culturels et sociaux ; tourisme par exemple !

On trouve ainsi des sites qui “vendent” directement des « solutions de biodiversité.

Ainsi le « vert » est devenu un marché comme les autres, et la « valeur » que l’on donne à la nature se réduit simplement à une bourse d’échange. On connaît depuis Fabrice Nicollino[11]Qui a tué l’écologie ?, LLL, 2011. les liens étranges qu’entretiennent les grandes associations de protection de la nature avec les acteurs du néolibéralisme ; en me documentant sur l’UICN, j’ai découvert que c’est en fait une vieille pratique – d’un certain point de vue, la protection romantique ne passe-t-elle pas par un accord entre le propriétaire foncier, un privé, et la puissance publique (retour à Barbizon, à Yellowtone). Je ne suis pas économiste et n’entrerai pas dans ces considérations, par ailleurs bien documentées (sur les points carbone ou la valorisation des aires protégées, elles aussi créées par l’UICN) ; je voudrais simplement souligner que, si nous n’y prenons pas garde, le métier de naturaliste (qui n’est pas seulement un expert ou un aménageur) va devenir, est en train de devenir, une espèce de méthode rationnelle d’inventaire biogéographique à la manière des arpenteurs coloniaux, non plus pour le souci désintéressé du savoir, mais pour accumuler des données afin d’évaluer au mieux le poids financier de cette rareté naturelle[12]Écrivant cela, je songe au beau livre de Salvatore Setis, Italia S.p.a. (Einaudi, 2002), qui montrait ces dérives financiaristes dans le patrimoine culturel ; l’Italie obtient sa place honorable, … Continue reading (d’où aussi l’enrôlement du « grand public » dans les démarches dites participatives).

Il conviendrait que les naturalistes, les chercheurs, les médecins, les biologistes se posent une question, se penchent sur ce problème, et dénoncent ces exactions. Lorsque l’économie libérale s’intéresse à un domaine qu’elle va chercher à monétiser et sur lequel elle est prête à déposer des brevets, donc à décréter des états de propriété, on peut penser que ce n’est pas avec les meilleures intentions “environnementalistes[13]En vérité, je crains que ce ne soit trop tard : Hélène Tordjman, « Dématérialiser la nature pour la faire entrer dans la sphère du marché », CEPN Working Papers 2018-12, Centre d’Economie … Continue reading”.

Malheureusement, et malgré tout notre équipement scientifique, théorique, philosophique, voire religieux ou psychanalytique, nous n’en démordrons pas : nous sommes pris dans le mouvement, pris dans la masse. Notre travail est bel et bien celui-ci évaluer le poids financier d’une portion d’espace, afin d’en déduire le rapport coûts/bénéfices. Il ne faut pas compter sur les naturalistes professionnels pour en sortir. Comme l’Union européenne a imposé l’appel d’offre à toute mission naturaliste, c’est la loi de la jungle qui règne entre nous, dévoués et passionnés chercheurs-cueilleurs. Sans un changement radical de tous nos modes de pensée, ce qui passe, je le répète une fois encore, par la réappropriation des outils politiques, nous resterons à jamais, tout écologues qu’on est, les idiots utiles du capitalisme.

 

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References

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1 À défaut de ce qui se passe en Europe. De ce point de vue-là, je n’ai pas les idées aussi claires : les pays du sud ne semblent pas s’y intéresser aussi intensément jusqu’à la directive CE/92/43 dite « directive habitats » mais il y aurait beaucoup à dire sur ces histoires moins connues. Moins connues que les préoccupations des sphères culturelles anglo-saxonnes ou germaniques, qui ancrent sans ambages ces préoccupations dans un fonds romantique, proche de la nature, incarné, à travers une lecture tout à fait originale (c’est-à-dire différente de nous Français), quasi transcendantale par Ralph Waldo Emerson (1803-1882), Henry David Thoreau (1817-1862), ou John Muir (1838-1914), qui n’étaient pas sans ferrailler avec un mouvement dit ‘utilitariste’ qui se passe de commentaire, incarné par John Bentham (1748-1832).
2 On ne retiendra qu’un fait amusant : le tout premier parc national français est institué… en Algérie (alors française), le parc de Teniet el Had, et d’autres suivirent dans les colonies françaises de Tunisie, du Maroc, d’Afrique Occidentale française et de Madagascar.
3 Le livre de Bernard Charbonneau, Feu vert (L’Echappée, 2022), paru en 1980, qui retrace les fondements politiques de l’écologisme, n’est de ce point de vue-là, dupe d’aucune habileté ou récupération, de droite (libérale) comme de gauche (libertaire) ; salutaire en ces temps de wokisme et de réaction.
4 S’il est premier, il est aussi fondateur : Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset, 1977.
5 Les pokémons peuplent un monde imaginaire créé par Satori Tajiri, à l’origine pour un jeu électronique mais décliné rapidement dans toutes les dimensions qu’une franchise commerciale autorise. Le jeu de cartes est un double réel du jeu électronique. Dans le monde des Pokémons, ceux-ci représentent des créatures disposant de capacités spéciales, des pouvoirs, et toute l’intrigue de la narration (il existe une série télévisée et plusieurs films d’animation) repose sur les combats que se livrent ces créatures, les pokémons, entraînées à cet effet par des humains appelés “dresseurs”, qui les capturent dans leur milieu d’origine, les exercent et les entretiennent, les collectionnent, et peuvent parfois tisser des relations fortes avec elles (amitié, amour, compassion, pitié, toute la gamme existe). Le jeu possède des règles assez strictes (et codifiées) et nécessite une certaine stratégie. Les créatures quant à elles, sont décrites assez précisément selon un modèle qui ressemble à s’y méprendre aux classifications biologiques fondées essentiellement sur la morphologie.
6 >On passera sur l’horripilante habitude de créer des acronymes partout, pour tout, et en particulier pour les processus ou les entités qui gravitent autour du seul dogme technocratique, produisant des « phrases » telles que : « Prendre en compte la doctrine ERC au sein de la TVB et du SRCE dans les SCoT et PLU-i. »
7 Je prends cet exemple parce que c’est une lubie du moment, il y a fort à parier que dans cinq années, le slogan (et la méthode) sera un autre.
8 Christine Biermann & Becky Mansfield, « Biodiversity, purity, and death : conservation biology as biopolitics », in Environment and Planning D : Sciety and Space n°32/2, 2014, p.257-273.
9 « Les inventaires naturalistes : des pratiques aux modes de gouvernement », in Études rurales n° 195, 2015, p.11-26.
10 Voir par exemple: <https://ec.europa.eu/environment/nature/biodiversity/economics/teeb_en.htm> ; <http://www.oree.org/biodiversite-contexte-et-enjeux.html> ; ; ; ou encore, de Bernard Chevassus-Au-Louis, Jean-Michel Salles, Jean-Luc Pujol, Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes – Contribution à la décision publique, Centre d’analyse stratégique, 2009, téléchargeable ici : ; voir enfin l’incroyable site :

Je cite l’un de ces effrayants documents : 1. Les services support.– sont ceux qui sont nécessaires pour la production de tous les autres services de l’écosystème. Ils sont différents des trois premières catégories de services, par le fait que leurs effets sur les hommes sont soit indirects soit apparaissent sur des longues périodes de temps.
Ainsi, certains services, tel que le contrôle de l’érosion, peuvent être caractérisés aussi bien comme « support » ou « de régulation » en fonction de l’échelle de temps des effets de ses changements sur les êtres humains.
Par exemple, les êtres humains n’utilisent pas directement les services de formation de sol de l’écosystème (services « support » ), même si des changements dans ce service affecteraient indirectement les êtres humains par l’effet sur la production alimentaire.
De la même manière, la régulation du climat est caractérisée comme étant un service de « régulation » car les changements de l’écosystème peuvent avoir un effet sur le climat local et/ou global à des échelles courtes, comparables avec l’échelle de la vie humaine (décennies ou siècles), alors que la production d’oxygène par le processus de photosynthèse est un service « support » car tout impact sur la concentration d’oxygène de l’atmosphère et sur sa disponibilité aux humains ne se manifesterait qu’à une échelle très longue de temps.
Des exemples de services support sont la production primaire, la production d’oxygène atmosphérique, la formation et la rétention du sol, les cycles bio-géo-chimiques, le circuit de l’eau, et l’offre de habitat.
2. Les services d’approvisionnement permettent aux hommes d’obtenir des biens commercialisables, par l’exploitation des écosystèmes tels que :
– la nourriture, les fibres. Cette catégorie inclut une large catégorie de produits alimentaires dérivés de plantes, animaux, bactéries, ainsi que des matériaux tels que le bois, le jute, le chanvre, la soie…
– le combustible. Bois énergie, tourbe, le fumier et autres matériaux qui servent de sources d’énergie
– les ressources génétiques – incluent les gènes et l’information génétique utilisée pour l’élevage des animaux, la culture des plantes et la biotechnologie.
– les substances chimiques – beaucoup de médicaments, biocides, additifs alimentaires tels que les alginates, et matériaux biologiques sont dérivés des écosystèmes.
– les plantes médicinales (menthe de Milly-la-Forêt)
– les ressources ornementales – sont les produits tels que les peaux et les coquillages, les fleurs utilisées comme ornements, même si la valeur de ces ressources est souvent déterminée par le contexte culturel de leur usage.
– les matériaux de construction – bois, sablons, etc.
– la faune chassable
3. Les services de régulation – sont des bénéfices obtenus de la régulation des processus des écosystèmes, tels que :
– le maintient de la qualité de l’air : les écosystèmes apportent des produits chimiques et extraient des produits chimiques de l’atmosphère, influençant ainsi la qualité de l’air.
– la régulation du climat : les écosystèmes influencent le climat aussi bien à échelle locale qu’à échelle globale. Par exemple, à échelle locale, des changements dans l’occupation du sol peuvent influencer aussi bien les températures et le régime des précipitations. A échelle globale, les écosystèmes peuvent jouer un rôle important dans le climat, soit en séquestrant soit en émettant des gaz à effet de serre.
– le cycle de l’eau : la récurrence et la l’importance du ruissellement, des inondations, et la recharge des aquifères peuvent être fortement influencés par les changements dans l’occupation des sols, par des altérations qui peuvent changer le potentiel de stockage de l’eau au niveau de l’écosystème. De telles altérations peuvent être déterminées par la conversion des zones humides ou des forêts en zones agricoles, ou des zones agricoles en zones urbaines.
– le contrôle de l’érosion – la couverture végétale joue un rôle important dans la rétention du sol et dans la prévention des glissements de terrain.
– la purification de l’eau et le traitement des déchets. Les écosystèmes peuvent apportés des impuretés dans l’eau, mais peut aussi aider à filtrer et décomposer les déchets organiques introduits dans les zones humides, les eaux intérieurs et les écosystèmes marins.
– la régulation des maladies humaines. Les changements dans les écosystèmes peuvent changer directement l’abondance des pathogènes humains ; tels que le cholera, et peut altérer l’abondance des vecteurs de maladies, tels que les moustiques.
– le contrôle biologique – les changements des écosystèmes peuvent affecter la prévalence des maladies et des prédateurs des cultures et du cheptel.
– la pollinisation – les changements des écosystèmes peuvent affecter la distribution, l’abondance et l’efficacité de la pollinisation.
– la protection contre les tempêtes et contre les inondations – par exemple, la présence des écosystèmes forestiers peut diminuer l’intensité des vents et/ou des eaux
4. Les services culturels et sociaux – sont des bénéfices non-matériels obtenus par les hommes à partir des écosystèmes à travers l’enrichissement spirituel, le développement cognitif, la réflexion, la création, les expériences esthétiques, comprenant :
– l’offre d’emploi, qui est le résultat de la gestion, restauration, protection etc. des écosystèmes
– les valeurs éducatives : les écosystèmes et leurs composantes fournissent une base pour l’éducation dans beaucoup de sociétés.
– source d’inspiration – les écosystèmes offrent une source d’inspiration riche pour l’art, le folklore, les symboles nationaux, l’architecture et la publicité.
– les valeurs esthétiques – beaucoup de personnes trouvent de la beauté ou des valeurs esthétiques dans des aspects variés des écosystèmes ; ceci se reflète par exemple dans les visites des parcs, des « paysages » et dans le choix des localisations pour construire des maisons.
– des relations sociales – les écosystèmes influencent les relations sociales. Par exemple, le fait de bénéficier des aspects esthétiques et récréatives des écosystèmes (forestiers, parcs urbains…) peut contribuer au renforcement des liens sociaux (ex. : entre les jeunes d’un groupe, entre les voisins…).
– les valeurs « patrimoniales » : beaucoup de sociétés apprécient le maintien de paysages historiquement importants (« paysages culturels » ) ou d’espèces ayant une signification culturelle.
– recréation et éco-tourisme – par exemple, les gens choisissent souvent les endroits de leurs vacances en fonction des caractéristiques naturelles du lieu.
Bien-être : Le bien-être de l’Homme est composé de multiples éléments dont, les éléments de base pour une vie agréable, la liberté et la possibilité de choisir, la santé, les bonnes relations sociales et la sécurité. Représenté sur un continuum, le bien-être est à l’opposé de la pauvreté définie comme une “absence prononcée de bien-être”. Les constituants du bien-être tirés de l’expérience humaine et tels que perçus par les hommes sont dépendants des situations elles-mêmes reflet des conditions géographiques, culturelles et écologiques locales.

11 Qui a tué l’écologie ?, LLL, 2011.
12 Écrivant cela, je songe au beau livre de Salvatore Setis, Italia S.p.a. (Einaudi, 2002), qui montrait ces dérives financiaristes dans le patrimoine culturel ; l’Italie obtient sa place honorable, chez les agences de notation, par la valeur intrinsèque de son patrimoine archéologique et historique, effectivement inestimable : premier pays en nombre de site reconnus patrimoines de l’humanité par l’Unesco – les élites italiennes, de ce point de vue-là, ne sont pas mauvaises à monter les dossiers, aussi sans doute parce qu’elle ne dispose pas d’un appareil national de préservation extrêmement efficace ni détaillé.
13 En vérité, je crains que ce ne soit trop tard : Hélène Tordjman, « Dématérialiser la nature pour la faire entrer dans la sphère du marché », CEPN Working Papers 2018-12, Centre d’Economie de l’Université de Paris Nord.