1. Résidence Fontainebleau

 

Texte mis à jour le 12 juillet 2021

 

Ainsi donc, me voilà à Fontainebleau afin d’y passer dix mois pour écrire ce que je ne sais pas encore, mais aussi pour libérer du temps et enrichir Cap au seuil, et, peut-être plus à la marge, le projet des Augustes : n’est-ce pas une demeure impériale ?

Seulement il y a deux inconnues de taille, qui ne facilitent pas l’organisation, ni la concentration : une pandémie mondiale qui a d’emblée reculé de deux mois le début de la résidence, puis complique largement les déplacements, non seulement depuis Paris, mais bien sûr aussi entre l’Italie et la France ; l’autre en est une directe conséquence : l’année 2020 ayant été quasiment blanche pour toutes les raisons qu’on connaît, une charge importante se reporte sur 2021 (sans toutefois une meilleure lisibilité, même s’il est plus facile de se déplacer), et je dois, en plus de résider, divaguer dans le sud de la France, et dans le nord de l’Italie, sur les sites des Omergues (04), Crolles (38), puis Ollières, Cabasse, Bormes-les-Mimosas (83), Mandelieu-La Napoule (06), Ventavon (05) et Chirens (38), plus Romagnese, Menconico et Brallo di Pregola (PV).

À quoi s’ajoute qu’il n’y a pas de lieu fixe pour dormir au château, et que les hôtels de la ville sont assez chers. Mon agenda est donc particulièrement éprouvé, surtout après une année sans rendez-vous.

Bref, à part ces menus problèmes, j’ai imaginé, avec David Millerou, qui est mon hôte au château, une résidence avec trois moments ou trois couleurs :

  • le travail d’écriture lui-même, qui, comme je l’ai dit, concernera aussi bien des travaux en cours (Cap au seuil et De par la vie de par le monde, donc, mais aussi Résidences), que des textes épars écrits sur place (ou à peu près), comme cette espèce de journal, qui pourra alimenter, par la suite, aussi bien une réflexion sur le site que des fictions brèves (du genre de la série Résidences, donc).
  • le travail avec les établissements scolaires, que j’ai tâché de concentrer en début de session, parce que la résidence est à cheval sur deux années scolaires. J’ai ainsi collaboré avec quatre classes : les 5e et les 3e du collège de la Vallée à Avon, les 6e du collège de Vulaines-sur-Seine, et les 1ère du collège Couperin, à Fontainebleau même. Une série de rencontres et d’ateliers d’écriture a ainsi nourri l’élaboration d’un texte original sur le mythe fondateur des peuplades de la forêt [lien à venir].
  • l’organisation de rencontres, de dialogues provoqués, entre un représentant des sciences biologique, écologique, et un artiste ou un chercheur en sciences sociales ou humaines. Compte-tenu des incertitudes liées au virus, nous avons favorisé ces confrontations à trois, plutôt que des conférences à une voix, et les avons placées après la rentrée 2021, en octobre [programme à venir].

    Évidemment, le lien entre tout cela existe, et c’est la représentation de la nature, i.e., le lien entre l’espèce humaine et la nature. Le château représente d’ailleurs parfaitement cette thématique, en tant qu’il associe trois types d’espaces différenciés : forêt – jardins – château. J’y reviendrai.

    Le fait de subir de nombreux déplacements ne facilite pas l’écriture, et j’espère pouvoir avancer dans l’été studieux qui s’annonce.

    *

    Page blanche ? Et si une partie du travail de résidence consistait justement à tester des choses, à revenir, au besoin, sur l’andamento de l’œuvre, puisque c’est un moment censé être délivrée des contraintes du quotidien ? Dans mon cas, hélas, les contraintes n’ont jamais été si fortes : celles de tout un chacun, vécues dans ce moment si singulier de notre histoire : une pandémie, les restrictions qui lui sont dues, des conséquences politiques aberrantes, une nécessité de non-choix, une impasse démocratique ou politique, une stratégie de looser, j’en passe et des pires ; et puis, sans doute toujours en lien au cours des choses qui s’est décidé en 2019 et surtout 2020, l’accumulation de travail, que je ne devrais pas faire (étant en résidence), mais que je dois faire (n’étant pas indemne du futur).

    Tout ceci doit-il entrer en ligne de compte ? N’est-ce pas un moyen de contourner la page blanche ?

    De page blanche, il y en a peu. Il faut ajouter qu’une partie des pages non blanches, des pages noircies, ont trouvé un exutoire inconfortable et inattendu, aussi choquant qu’horrible, justement pratiquement au cœur de l’été studieux, avec la disparition de mon ami et guide Philippe Aigrain, qui présidait au destin de Publie.net, chez qui je devais publier, incessamment, pas moins de trois volumes : la quatrième étape de la Littérature inquiète, avec des textes sur Lucie Taïeb, Nathalie Quintane, Mathieu Brosseau, Anthony Poiraudeau, Philippe Rahmy entre autres ; la troisième étape de mon exploration de la contre-culture avec un petit volume sur Prince, qui devrait s’appeler Avalanche, et surtout, surtout, mon second roman, pièce parmi les pièces, pierre parmi les pierres, que j’avais attaqué en 2013-14 et que par la grâce de la lecture habile, intelligente et constructive de Guillaume Vissac, mais aussi au refus de tous les éditeurs sérieux actuels, devait paraître à l’automne 2022 : Féroce.

    Comment écrire après cela ? Je ne parle pas de la difficulté éditoriale, qui est de toute manière toujours de mise, et qui n’empêche jamais un vrai bon texte d’être publié…

    Je parle de la mort d’un ami.

    J’allais à Fontainebleau quand Guillaume m’a appelé pour m’annoncer la nouvelle ; je retrouvais quelques enfants du centre social de Melun… il pleuvait, j’étais seul dans le wagon de la ligne N ; j’avais raté de peu le précédent (panne de métro), je n’étais guère motivé, mais le fus encore moins à la sortie du train.

    Ce fut l’un des plus riches ateliers d’écriture que j’ai eu à faire : conditions idéales, sauf la météo, quatre enfants, venus compléter, un peu à leur insu, la mythocritique locale…

    La résidence en Bretagne a été marquée par le décès de ma mère, et le voyage à Montélimar, pendant la grève des trains, et les débuts de la maladie ; celle-ci par cet autre évènement. Faire trésor, faire trésor : jusqu’à quel point est-on capable, ou est-on en mesure d’engranger des évènements qui peu ou prou doivent rejaillir dans l’écriture ? N’est-ce pas aussi cela, le sens d’une résidence ? À la manière du petit être que nous sommes de notre naissance à notre mort, nous accumulons les expériences pour réduire, le plus possible l’idée de la mort, la seule, la seule je dis bien, qui nous fait avancer…