Sur des cartes, des photocopies de cadastres, de propriétés, de communes, de villas, lieux inédits, inconnus, le général posait quelques manuscrits, comme un passe-temps, un défouloir pour supporter ce qui était déjà venu, ce qu allait encore devoir venir.
Comme l’escargot, le général avait compris toute la puissance de l’asymétrie. Son cœur penchait, sa tête penchait, son phallus, même armé, penchait, même ses légions, même sont pays penchaient.
Même son écrivain gouailleur, frondeur, penchait.
Il avait compris le pouvoir de la pente (comme d’autres celui de la courbe) — vague souvenir des idées elles-mêmes un peu déviantes de Carus — il avait compris le pouvoir de la pente en observant, précisément, les coquilles baveuses, des êtres indifférents à tout qui se permettent de ne pas avoir de membre mais disposent d’une maison.
Le général reposait son manuscrit sur le tas de paperasses, rapports, cartes, factures, registres, lettres, cartes postales, feuilles de cadastre et il écrivait. Et écrivant, il rêvait qu’il écrivait et, rêvant qu’il écrivait, il se vit lui-même scribe, le chiffre, le greffe de ce que lui-même, en d’autres circonstances avait par ailleurs décidé.
{Malheureux nautonier plus riche
que moi
poursuis cet orage,
[…]
périssent les trésors
[…]
tu l’as bien mérité !
[…]
décorez vos palais des prix de la victoire.
[…]
au seuil de son réduit
que l’on ne m’ouvre pas.}
Appuyant sur la bouche d’air, véritable trachée dissimulée dans le marbre attenant, qui communiquait avec la chancellerie, il ordonna :
— Qu’on amène mon écrivain.
— Lequel, seigneur ? répondit le tube.
— Celui qui rit est en tournée militaire. Celui qui chante est en dépression forcée sur les bords de la mer la plus lointaine. Celui qui flatte est mort. Au reste je n’en ai plus qu’un. Amenez donc celui-là, et amenez-le bien.
Le poète anxieux se fit connaître quelques minutes après auprès du bureau central des renseignements et de l’enregistrement [scrinium memoriæ].
Lorsqu’il pénétra ses appartements par les pièces de représentation et d’apparat, et après avoir traversé le couloir aux morts pétrifiés, il l’aperçut son maître sur la terrasse, qui contemplait la ville calme et le ciel vide.
On entendait monter de la rue une troupe d’enfant chanter Claunégalo… Claunégalo !.
Le fragment dit « Thurinien » présente à la fois des textes plus ou moins hagio- ou biographiques et des poèmes qui semble totalement décousus et sans aucun rapport avec les autres textes (nous reproduisons l’un de ces textes écorchés pour l’exemple) ; quelques exégètes ont suggéré que ces poèmes étaient de la main d’Auguste lui-même ; d’autre sont cherché en vain, mettant en œuvre les meilleurs outils de la philologie comparée — comme le programme BORGES de l’université de Cambridge — à rattacher tel ou tel syntagme à Properce, Horace ou même Virgile.