K. marchait en direction du château, avec autant de difficulté qu’aux premiers jours. Ses jambes étaient lourdes, ses pieds gourds ne sentaient que le froid. La neige était toujours haute et, bien que les alentours du village semblassent toujours moins blancs que les fonds, et ceci alors qu’il avait fortement neigé durant la nuit, la progression difficile ne s’arrêtait pas.
Qu’aurait-il donné pour ne pas à retourner là-haut, ceci alors qu’il était en lui-même persuadé du bien fondé de sa demande. Mais les contes de fée, comme dit la chanson… Il s’arrêta lui-même alors qu’il recommençait à neiger. Sans s’en être aperçu, voilà que des flocons perçait la nuit – car la nuit était bel et bien tombée. Il aurait pu redescendre, ou accélérer le pas. Mais il ne bougeait plus. K. se sentait soudain en paix.
Une paix violente et inattendue ; voilà qu’il n’avait plus à monter au château, voilà qu’il n’avait plus à défendre sa cause. Voilà qu’il n’avait plus à marcher.
Voilà qu’il n’avait plus à respirer.
Il avait dans la poche de sa vareuse détrempée un caillou qu’il serrait continuellement dans sa marche ; il le lâcha et saisit de ses doigts maladroit une petite loupe portative que lui avait donnée la femme de l’auberge. Il sortit l’appareil, l’ouvrit avec difficulté, la neige tombait. Il regardait les flocons recouvrir tout, mais aussi ses épaules, ses jambes, il étendit le bras, il regarda les flocons recouvrir son bras . Il avança son bras de la loupe, il observa un flocon.
Il se plongea dans la contemplation de ce flocon qui, avec tous ses frères, engourdissait tout le monde de K.
Il resta un peu ainsi avant de mourir, puis une voix lui vint : « il n’y a qu’un problème vraiment sérieux : c’est le suicide » ; la voix resta suspendue en l’air, portée par le même air que les flocons, la voix resta plus encore que la musique des mots ; la voix devint le flocon qu’il observait.
Car après tout, de quoi avons-nous besoin de nous défendre… et pourquoi lutter. Un vrai arpenteur, pour être estimable, doit prêcher l’exemple. Ce sont là des évidences sensibles du cœur, mais qu’il faut approfondir pour les rendre claires à l’esprit.
K. se donna à la voix, et la voix l’accepta sans sourciller. On a pu retrouver son corps dans la neige, gelé de froid. On a pu en tirer des conclusions hâtives ou fomenter une enquête dûment poinçonné du sceau du conte, du seigneur ou même du roi. On n’imagina jamais la joie qu’éprouvait K. alors qu’il était en train de mourir.