J’essaie d’imaginer le tas de chiffons que tu dois être, j’essaie de mesurer ta douleur, mais en vain. Je ne saurai jamais, car tu échappes à l’œil. J’essaie d’envisager le désordre de toi, mais je n’ai plus la force de tenir debout. Les lames des mémoires me sont présentées nues, nues devant les yeux exorbités. Et je dois m’en saisir (à pleines mains).
Je ramasse les éclats de ma vie comme tu vends les tiens sur des places. Il y a des seuils sur lesquels des femmes bras croisés, debout, perdent leurs regards dans le vague. En réalité elles auscultent leur amour ou leur ventre.
Il y a des bateaux qu’on prend pour s’imaginer se rendre ailleurs, plus loin, mais on ne se rend jamais qu’un peu plus en périphérie de soi.
Nos larmes sont un avertissement : qu’on n’épouse pas l’aurore, malgré toute notre candeur, on ne saute guère de sillon.
Pourquoi, pourquoi ne parvenons-nous pas à dessaler nos mains, nos têtes, pendues à des fils devant nos yeux comme des bacalà devant des boutiques crasseuses ?
J’ai beaucoup de respect pour ce qui s’abandonne ; moi-même. Hm. Mais je ne colle plus à rien sinon comme le sable à mes semelles, inopportun, parasite. Mollement tournées vers les couchants, les chaises vides sont oubliées de leurs propriétaires, qu’on a jeté en mer.
Qui ne perce en lui ses abcès ne me concerne pas ; nous avons peu de temps pour vivre, ne le passons pas à souffrir.