Les migrants subissent un “déplacement forcé”, fuient leur pays à cause d’une combinaison de facteurs politiques, économiques, sociaux ; il est difficile de distinguer les causes, la guerre portant avec elle, de toute façon, la misère.
Plus de 60.000.000 de personnes migrent dans le monde ; la Turquie accueille plus 2.900.000 de personnes, le Pakistan 1.600.000, le Liban 1.000.000, l’Ouganda 900.000 personnes. Qu’on se le dise, l’Europe n’est clairement pas en tête de l’accueil (choisi ou non) des migrations.
On nous montre souvent les images spectaculaires et insupportables1 des bateaux de plastique chargés de personnes ayant tout quitté ; si cette réalité existe bel et bien, nombre de migrants pass(ai)ent également par la terre mais de plus en plus par la mer, et proviennent de classes sociales généralement plus aisées et diplômées, des gens qui dans leur pays avaient ce qu’on appelle une situation, une culture, qu’ils auront aussi amenées avec eux chez nous ; dans un cas comme dans l’autre le voyage ou la traversée sont tout aussi difficiles, extrêmes et inhumains.
Il est particulièrement délicat de connaître les données précises, puisqu’elles dépendent de ceux qui sont arrivés à bon port, si on ose dire, et de ceux qui font une demande d’asile. Mais les pays principaux d’où proviennent les migrants sont, en Europe : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, l’Érythrée, le Soudan, le Kosovo, le Mali, l’Albanie, la Gambie, le Nigéria… La guerre civile en Syrie et en Irak, la guerre en Afghanistan, la guerre civile en Somalie, la guerre au Darfour et la fuite de régimes autocratiques et la misère sont les principales causes.
Rappelons que depuis l’adoption par l’Union européenne du Règlement de Dublin III (2013), un demandeur d’asile doit faire sa demande dans le pays par où il est entré sur le territoire de l’UE, c’est-à-dire concrètement le plus souvent la Grèce et l’Italie, et depuis mars 2017, avec la signature du pacte migratoire avec la Turquie, fermant par conséquent la route grecque et balkanique, l’Italie seulement — qui est confrontée de plus, de par la géographie, aux repêchages en mer.
En cet été 2017, la situation objective est la suivante :
1. Le nombre de migrants ne cesse d’augmenter. L’Italie est en première ligne (180000 personnes sont arrivées en 2016, on prévoit entre 220 et 250000 nouveaux arrivants en 2017) : elle s’est substituée à la Grèce dans ce rôle d’ “accueil” suite à la fermeture de la frontière balkanique et aux accords passés avec la Turquie. L’Espagne a signé un accord avec le Maroc (sur la question saharienne occidentale) pour fermer également la route marocaine. L’Italie est une péninsule et la Méditerranée n’est pas verrouillable ; l’accueil se fait souvent de manière tragique : suite à de nombreux naufrages en pleine mer, les migrants sont repêchés soit par la marine italienne, soit par des pécheurs privés, soit par les navires d’organisations non-gouvernementales, dont le rôle a pu être questionné dernièrement (accords suspectés avec des passeurs). De nombreux migrants, trop de migrants, périssent toutefois lors de la traversée : déjà plus de 2000 en juin 2017.
2. Devant cet état de fait, l’Italie a demandé aux ports européens d’accueillir aussi les bateaux ayant secouru les migrants, et s’est vu répondre un refus général de tous les pays concernés : Belgique, Pays-Bas, France, Espagne (tous soutenus par l’Allemagne). L’Italie a menacé de fermer ses propres ports.
3. Entretemps la France évacue le camp de migrants situé à la Chapelle, pour la énième fois. Les gens sont dispersés, sans recours, et il y a fort à parier que la situation ne se reproduise bientôt.
Déjà des regroupements interlopes se reconstituent à Calais comme à Paris.
Juste avant sa fête nationale, la France a présenté un « plan migrants » : il ressemble à s’y méprendre à un répertoire de bonnes intentions ; surtout il ne fait aucune allusion à la gestion des nouveaux arrivants, ni au rôle diplomatique de chacun des états au sein de l’UE.
Les discours sont souvent nourris d’émotion, mais les solutions se font attendre : comment prendre au sérieux la proposition de loi de la maire de Paris pour que d’autres communes ouvrent des centres ?
4. Alors qu’au niveau communautaire, le blocage est patent, la France organise unilatéralement une rencontre avec les chefs libyens, Tripoli et Benghazi. Non seulement cet acte affaiblit l’Union européenne (ce qui n’a guère d’importance) mais de plus, accentuant la crise avec l’état italien (la Libye étant liée historiquement et dramatiquement à l’Italie), révèle les seuls intérêts des uns et des autres, qui sont économiques (uranium, pétrole, etc.).
5. La France est pour l’installation de « hotspots » (ces camps de regroupement aux dérives inhumaines2) en Afrique, mais l’armée installée durablement au fort Madama pour protéger ses sources d’uranium laisse passer les colonnes de migrants du Niger vers la Libye, dont l’aboutissement sera inexorablement l’Italie.
6. Sous la pression européenne, et du fait des critiques faites aux ONG qui recueillent les migrants méditerranéens sur leurs bateaux, l’État italien a imposé à ces dernières un Code de conduite décliné en treize points3. Plusieurs d’entre elles, dont MSF, qui dispose de certains des plus gros bateaux, ont refusé de signer le code ; non seulement elles respectent la plupart des treize points (qui relèvent de la sécurité ou de la légalité), mais elle s’oppose en particulier à deux d’entre eux : (7) l’interdiction de procéder au transfert de personnes d’un bateau à l’autre (en effet, les plus petites embarcations devraient se rendre au port le plus proche, ce qui prendrait un temps considérable et multiplierait certainement le risque de noyade) et (10) accueillir non seulement à quai, mais aussi en mer, des fonctionnaires de police en arme, ce que MSF a toujours refusé, aussi bien sur les bateaux, mais également dans les hôpitaux des pays où elle intervient4.
Les ONG qui ne signeraient pas le Code seraient arrêtées.
7. À cela s’ajoute la présence des passeurs, mais aussi de trafiquants d’êtres humains, dont on suspecte le lien avec diverses maffias locale, ce qui n’arrange rien. La présence relativement importante des bateaux de sauvetage a rendu la situation plus visible aux pègres de part et d’autre du bassin.
8. Un résumé du chaos a été proposé par Il Corriere della Sera dans son édition du 15 juillet (cliquer pour agrandir, attention c’est très grand !) :
9. Le drame est aussi que tout ceci se passe en plein été, quand les attentions sont moindres, mais les eaux “plus propices”.
Ce qui est en jeu dans cette intolérable situation à présent pérenne, c’est le perpétuel aveuglement-mensonge généralisé.
1. Il faut clarifier la situation de l’UE et de ses membres : depuis 2015, la frontière entre la France et l’Italie est fermée, d’autres le sont temporairement ; l’Autriche menace de fermer le Brener. On ne le crie pas trop sur les toits — puisque c’est contraire à la philosophie de Shengen.
L’Italie repêche les migrants depuis des années, qui se retrouvent coincés dans un pays où les difficultés structurelles sont connues. Après les accords (machiavéliques) avec la Turquie, elle est maintenant la seule. Le réseau et les moyens de l’Église permettent d’aider aussi bien l’État que les ONG ou les personnes privées. Une certaine connaissance et une certaine expérience de la situation ont jusqu’ici permis un accueil relativement décent. L’État a demandé à toutes les communes d’accueillir les personnes (évidemment toutes ne l’ont pas fait). Mais combien de temps cela va-t-il durer5 ?
L’Autriche a demandé à l’Italie d’éviter que les migrants ne touchent la terre ferme européenne (sous-entendu : qu’ils restent à Lampedusa, une île de 20 km
L’Allemagne, quant à elle, a rempli ses quotas en sélectionnant les migrants les plus utiles (en particulier les classes supérieures syriennes) — et à présent qu’elle a son compte, elle n’en veut plus.
En France, le Président de la république nouvellement élu, comme ses collègues, de logiciel ultralibéral, devrait pourtant être favorable à l’ouverture des frontières et aux mouvements de personnes (comme aux mouvements de marchandises et aux mouvements de capitaux, qui forment la mondialisation dont il est l’un des fervents défenseurs). Mais on ne comprend plus : on distingue à présent les réfugiés politiques ou climatiques, et les migrants économiques, dont il est clairement annoncé qu’ils sont indésirables.
Pour synthétiser, on constate la friction entre l’inefficience politique de l’UE (qui est structurelle, donc inamovible) et les intérêts séparés des états.
2. Ce qui est au cœur du processus, c’est la lâcheté, lâcheté incarnée par le volontarisme français. Cette lâcheté prend par exemple le visage de l’état d’urgence. Celui-ci entretient volontairement le flou, dans les mentalités, entre terrorisme et migration, ainsi que le flou sur ses responsabilités actuelles et passées.
Doit-on rappeler que la France a bombardé la Libye ? Doit-on rappeler qu’elle a agi militairement en Afrique subsaharienne ? Qu’elle préserve notamment ses accès à l’uranium ?
3. Il faut aujourd’hui se l’avouer : le phénomène des migrations ne s’arrêtera jamais, et les flux ne se résorberont pas ; au contraire, ils s’amplifieront. Une lecture politique plus sereine, moins crispée et moins intéressée devrait prendre acte de ce que deviendra la société, de ce que sera la société de demain. Ce ne seront pas 5000 migrants qu’il s’agira d’accueillir, mais des centaines de milliers, voire des millions.
4. Les prétextes sont nombreux qui servent à ne pas agir sur le fond ; que faire ? En premier lieu cesser d’invoquer l’urgence ; ensuite, arrêter de détourner l’attention (par exemple sur le rôle des ONG) ; enfin, tout de suite, organiser tous les moyens pour s’organiser. On ne peut pas dire comme le disent certains élus qu’il n’y a pas assez de place en France ; on ne peut pas penser comme le pensent certains élus que le pays n’en a pas les moyens (ni d’ailleurs les besoins).
5. Pourquoi insister sur le rôle de la France (à part qu’il s’agit de mon pays) ? Parce qu’elle prétend incarner les droits de l’homme ! Dans cette optique, comment comprendre le sens historique de ce refus net des migrants sur son territoire ?
Il faut bien sûr aussi questionner l’UE sur son rôle et sa responsabilité, il s’agit donc aussi de questionner l’UE et ses membres sur ses frontières : il ne suffit pas de les repousser ailleurs : en pleine mer ou en Turquie, mais il s’agit d’assumer la portée politique de la frontière : sommes-nous une nation européenne ? Non. Les citoyens ont-ils la main sur la politique européenne ? Non. Cette occasion, par l’horrible circonstance, nous est donnée, sachons la saisir.
Mon pays, qui a les moyens d’agir, qui serait un acteur-clef dans toute l’affaire, a fait hélas le choix inverse.
6. Le point le plus sensible est aussi l’un des plus difficiles à exprimer : nous marchons sur des œufs : entre l’urgence (au sens strictement temporel ici) sanitaire et culturelle et les enjeux politiques qui découlent de la migration même. Notre exigence de clarté ne doit pas provoquer un excès de moraline dont le seul effet est de ne rien faire.
Nous qui luttons contre l’Europe ultralibérale mondialisée, pour l’existence d’une souveraineté au sein d’une nation sur un territoire défini (et donc défini par ses frontières6), nous nous heurtons de fait d’une part aux doux rêveurs qui voudraient un seul monde ouvert, ce qui est encore une utopie (les mêmes généralement sont contre l’idée de l’État et de la Nation), et d’autre part aux mondialistes avisés qui préfèrent saper nations et états pour plus de profit encore.
Malheureusement, malheureusement, le manque de lucidité des uns fait souvent le jeu des autres. Dans les deux cas, ce sont les migrants qui en payent frontalement le prix.
- C’est l’association du spectaculaire et de l’insupportable qui complique fortement les choses, notre sincérité, notre lucidité. ↩
- La Méditerranée a tous ces « hotspots » de concentration ; ironiquement, elle est aussi l’un des « hotspots » mondiaux de la biodiversité ! ↩
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- Non entrare nelle acque libiche, « salvo in situazioni di grave ed imminente pericolo » e non ostacolare l’attività della Guardia costiera libica.
- Non spegnere o ritardare la trasmissione dei segnali di identificazione.
- Non fare comunicazioni per agevolare la partenza delle barche che trasportano migranti.
- Attestare l’idoneità tecnica per le attività di soccorso. In particolare, viene chiesto alle ong anche di avere a bordo « capacità di conservazione di eventuali cadaveri ».
- Informare il proprio Stato di bandiera quando un soccorso avviene al di fuori di una zona di ricerca ufficialmente istituita.
- Tenere aggiornato il competente Centro di coordinamento marittimo sull’andamento dei soccorsi.
- Non trasferire le persone soccorse su altre navi, « eccetto in caso di richiesta del competente Centro di coordinamento per il soccorso marittimo (Mrcc) e sotto il suo coordinamento anche sulla base delle informazioni fornite dal comandante della nave ».
- Informare costantemente lo Stato di bandiera dell’attività intrapresa dalla nave.
- Cooperare con il competente Centro di coordinamento marittimo eseguendo le sue istruzioni.
- Ricevere a bordo, su richiesta delle autorità nazionali competenti, « eventualmente e per il tempo strettamente necessario », funzionari di polizia giudiziaria che possano raccogliere prove finalizzate alle indagini sul traffico.
- Dichiarare le fonti di finanziamento alle autorità dello Stato in cui l’ong è registrata.
- Cooperazione leale con l’autorità di pubblica sicurezza del previsto luogo di sbarco dei migranti.
- Recuperare, « una volta soccorsi i migranti e nei limiti del possibile », le imbarcazioni improvvisate ed i motori fuoribordo usati dai trafficanti di uomini.
- Sur ces points voir/écouter l’émission du 2 août de Tutta la Città ne parla de la Rai 3 ; sur le blog, visiter les liens du jour : http://lacittadiradio3.blog.rai.it/. ↩
- Pour ne citer qu’un exemple, à Lampesuda, la maire volontariste n’a pas été réélue aux récentes élections municipales de juin. ↩
- Que cette nation soit européenne ou française, peu importe finalement, mais ce qui est certain c’est que la nation française existe, alors que la nation européenne ne verra très probablement jamais le jour. ↩