Où l’on apprend que…
§ C’est à partir de ce narcisse que je règle les éléments de ma vie : mes relations sociales, mon métier, ma maison. Ce n’est pas pour le symbole, ce n’est pas par un malheureux raccourcis. Ce petit Narcissus dubius ne pousse qu’ici, dans cette espèce de garrigue, ce truc tout sec, moitié mort. Il faut attendre tout une année, et cela ne dure que quelques jours. Le narcisse se fait attendre. Puis il croît et il éclot. Il colore la croûte grise qui n’est pas encore fécondée des insectes. Il embaume l’air. Et • le temps s’arrête.
§ Il a fallu que je me prostitue pour défendre cette petite colline. Il a fallu que j’intègre le conseil municipal, que je fasse ami-ami avec ce gros con de Menez. Et empêcher qu’on lotisse, ou qu’on carrièrise, ou qu’on éolienne, ou qu’on photovoltaïse. Il a fallu que j’aille bouffer chez ce con. Il a fallu que je discute au PMU et que je me tape cette connasse de lolita surannée.
§ C’est l’unique station du département et de la région. Lorsqu’il a défleuri, les feuilles se flétrissent et il a disparu pour une année complète. Pas question d’en prélever des bulbes, c’est grâce divine qui l’a fait venir ici. Pas question d’acheter la parcelle, de vieilles histoires de consanguins avinés bloquent le dossier à la préfecture. Pas question de clôturer sans attirer l’attention. Et moi j’ai prêté serment d’allégeance à cette fleur fragile. Je reste de nuit à surveiller les ombres et les bruits. J’interroge les voisins, je hèle les promeneurs. J’exècre vélos-quads-4×4 et j’en viens à mépriser les pieds. Je guette les sentes du sanglier et du chevreuil, le terrier du garenne, les ronds de la buse. Je surveille les insectes. Je tapisse de photographies les murs de ma maison. Si j’en avais le pouvoir, je la déplacerais autour, lui laissant espace suffisamment large pour respirer. &cet atrium confondrait les lares.