Où l’on apprend que…
§ Ils sont tous avec moi, mes chers petits • m’accompagnent où que j’aille. Je les ai tous avec • moi… Comme des petits chats.
§ Mes petits chats, mes petits, qui peuplent mon salon, mon caveau ou mon crâne, tous les enfants que je n’ai pas eus. Tous ces souvenirs des hommes qui m’ont touchée. Tous ces parfums volatiles, ces effluves encore vivaces, ces tristes amours endommagées, brisées en plein vol. J’aurais tant voulu avoir un époux, et qu’il me fasse des enfants. Mais ils ont fui avant, ou se sont dissolus, ou ont implosé, je ne sais plus. Alors mes petits peuplent mon imaginaire. Je leur ai donné un nom à tous, les traces des passages des maris évanouis. Ils ont tous un nom, une date de naissance et un petit caractère bien à lui • mes petits chats.
§ Je suis embêtée avec les plus âgés ; ils commencent à prendre leur indépendance, et un peu aussi, faut-il l’avouer, leurs aises. L’une a des petits problèmes de drogue. Un autre a eu maille à partir avec la gendarmerie. Ils donnent une mauvaise image à leurs frères et sœurs et ils entachent mon nom, mon nom propre. Alors parfois, dans un geste de ferme autorité, et sans doute avec un rien de désespoir, j’en prends un, et je le serre, je le serre jusqu’à ce que son visage se déforme, que sa tête enfle et gonfle comme une baudruche, et éclate, mon petit chat, éclate avec un grand fracas. Des restes de lui sur ses frères et sœurs. Des restes de lui fichés dans mon cœur ; autant je les aime, mes petits chats, autant ô combien je souffre lorsque je suis décidée ou obligée de me débarrasser de l’un d’eux. Mais c’est la seule solution que j’ai trouvée pour me venger gentiment de mes époux flaccides ; de petites piques en leur direction. C’est une manière de leur écrire. J’espère qu’ils ne m’en tiennent pas trop rigueur. Mes petits chats. Mes petits chats à moi.