Où l’on apprend que…
§ Mon père est un fantôme. Il n’y a pas d’autre solution. Déjà vivant, il était peu présent, il apparaissait plus qu’il n’était là ou venait. Il arrivait qu’on l’oubliât. Ma mère vivait avec d’autre hommes, ou plutôt il y avait d’autres hommes sous le toit de la maison. Des dont on ne savait parfois pas même le nom, et dont le visage ne m’a laissée aucune trace, ni la voix, ni le regard • bref ces signaux qui sont censés illuminer les passages et les nuits.
§ Aujourd’hui qu’il est bel et bien mort • qu’on en a toutes acquis la certitude • et que l’une d’entre nous a pu venir en témoigner de visu, son silence et son absence sont encore plus percutants et, à la limite, ses apparitions ne font que souligner ses départs. A moi il apporte le frisson. A une autre un sourire narquois. A une autre un réveil brutal. A une autre une entité gluante. A une autre un accident. A une autre une fièvre inexpliquée. A une autre une inconcevable figure géométrique. A une autre des runes manquantes. A une autre un destin de tissu. A une autre du sang. A une autre une colère qu’elle empoigne. A une autre l’écho. Et ainsi de suite.
§ Ce qu’on en tire, à part ces présents qui n’en sont pas, ni ne le sont, c’est d’aller sur les routes avec un peu moins d’étendue, un peu moins d’horizon, et des angles morts, dans notre champs de vision, auxquels se substituent des trouées, des profondeurs mais non, pas d’ornières, des échelons, des souterrains, des passages secrets, des raccourcis. Nos yeux, notre cerveau même, n’évoluent plus dans l’unique dimension du physique. Ils vont-viennent ailleurs.