Où l’on apprend que…
§ Le député-maire avait été battu au premier tour des Cantonales, et avait dû se désister au profit de l’autre candidat de la gauche. Il l’avait assez mal pris et avait fait comprendre à ses administrés qu’il ne laisserait pas passer aussi facilement son adversaire du même bord. Le candidat de la droite, sénateur de son état, jouissait du spectacle. Le dépouillement s’annonçait épique.
§ Effectivement, l’ensemble du conseil municipal trônait comme chez lui, qui aux urnes, qui aux signatures, qui en faction devant la salle des fêtes pour accueillir les personnes âgées. « Et il faut bien voter, hein ». Le maire se faisait attendre. Il a voté en sortant de la messe. D’aucuns remarquèrent qu’il y avait longtemps qu’il n’était pas entré dans le lieu saint — ses occupations, aussi. D’autres approuvaient la réfection de la sacristie, grâce au denier public, certes, mais sur une ligne patrimoine qui ne déplut pas au curé, homme affable et lénifiant, qui allait sur ses soixante-dix ans en Vespa, tout en admonestant les vieilles biques de la paroisse à ne pas se tromper de bulletin dans l’isoloir.
§ Tout ce ramassis de tromperie et de mensonges m’écœurait, et je ne parvenais pas à me décider, finalement si j’allais voter, et si j’y allais, pour qui. Mais je n’eus pas le loisir de m’appesantir plus lorsque, rendu tard à la salle des fêtes, je pus assister à l’arrivée fracassante du député-maire, qui clôtura le scrutin. Les adjoints en rang d’oignon distribuaient des sourires béats. Mgr Febvre se tenait dans un coin. Les autres candidats faisaient le tour des petits bureaux du canton. Il était laissé seul, impérial, tout-puissant. Le dépouillement procéda. Les tas du candidat de gauche ne gonflaient pas aussi vite que celui du candidat de droite. Le député-maire n’en finissait pas de sourire aux corneilles. Les espoirs du renouveau s’effondraient. On ne joue pas impunément avec des hommes roués au combat politique. On apprit plus tard que droite et gauche avaient passé un accord secret pour qu’aucune formation autre ne puisse venir perturber l’ordre logique du bicamérisme. Le candidat de gauche, vainqueur au premier tour, vit son score fondre comme neige au soleil. La démocratie n’a pas besoin de rêveurs : elle a besoin d’un solide socle territorial ; elle a besoin d’hommes en bras de chemise ; de fins connaisseurs de la psychologie rurale ; elle a besoin d’abstention et de peur qui dépouille les victoires. Elle a besoin de courage ; et le courage ne regarde pas d’où vient le vent.