Où l’on apprend que…
à Hélène Sturm
§ Dimanche j’ai vu la fleur d’amande, la seule, la première. Je barulais dans un gourd, au milieu des ronces, les pieds trempés, et les épines. En sortant du trou, j’étais au milieu de champs de vignes. Il n’y avait aucun souffle, aucun bruit. Et là, majestueusement ouverte sous les premiers soleils, la fleur d’amande. Je n’ai pas pris cela comme une parole, c’était chose neutre, éclat certes, mais au-delà du plaisir qui rassure — le printemps, enfin le printemps — un des nombreux accrocs à la routine, de ces riens que nous investissons de béate admiration.
§ Lundi, lorsque j’ai rouvert mes volets vers l’ouest, j’ai repéré dans le furieux entrelacs de marnes et de choses vertes et piquantes et grises et piquantes et bleues et piquantes, j’ai repéré une masse sombre à terre, pile dans l’axe de mon horizon. Cette masse sombre, je l’aurais prise pour quoi que ce soit, si elle n’avait tourné la tête au cliquetis de ma persienne. Un grand rapace au torse et au chaperon blanc, un circaète, qui ne parvenait pas à décoller faute de l’impulsion d’une bourrasque, et qui demeurait perché sur rien, un peu honteux, au beau milieu. Majestueux, inapte.
§ Mardi, alors que rien ne l’avait pu laisser supposer la veille, au petit matin, alors que j’écarquillais la buée sur le fenestrou, je remarquai qu’il avait neigé. Ces choses arrivent, bien sûr, en cette saison, mais l’enchaînement des trois apparitions alors me glaça les sangs. Je restai assis contre un mur sans bouger. Lorsque j’ai pu me décider à sortir, quelques heures plus tard (la neige avait déjà laissé place au soleil, et ne restaient que quelques ilots perdus de neige) une autre chose m’attira vers l’un de ces minuscules fjords. On y voyait trois gouttes de sang. Ou comment le monde, qui est ameublement épars et roturier du réel, devint signe et précipita ici les empreintes du destin. Je ne savais plus ou me mettre et il a fallu que je l’accepte.