Où l’on apprend que…
§ Lorsque je suis sorti du lycée, entre deux heures, les couloirs, les espaces étaient déserts. Au portail, il y avait deux jeunes et un troisième qui s’est approché de l’intérieur. C’étaient trois punks. Celui qui approchait portait un genre de kilt bleu. Dehors, un couple, le garçon avec une crête, la fille avait des piercings à la paupière, à la lèvre, un perfecto sur une chemise de bucheron à carreaux rouges et noirs. Le type se dirigeait vers le groupe dehors, je suis arrivé au milieu de la scène, il a gueulé « C’est tout ce que j’ai à dire ». L’autre alors a donné un grand coup de poing dans un tableau placé sur le pilier du portail. Puis il s’est retourné vers la fille, cramoisie. Puis il s’est approché doucement et il a délicatement posé ses lèvres sur les siennes, dont les yeux ronds le regardaient intensément, plein de crainte, de solitude. Comme je passais à ce moment, que tout s’est déroulé très vite, me voilà dehors et je ne tiens à regarder que la main du jeune punk. Qui est en sang. La blessure, celle des chocs, des brûlures, est mâchée comme la vie.
§ Nous sommes attirés par la douleur. C’est une espèce de viatique, évidemment. Adolescents, on se plait, aussi, à occuper sa douleur, à s’en nourrir, s’en repaître comme d’un aliment rare, un mets succulent. Il y a comme une espèce de concurrence entre la douleur vécue et ressentie et la capacité de l’imaginaire. Parce que la douleur n’est pas seulement la possibilité d’exister. C’est aussi cette faculté d’imaginer, de rêver, cette chance de dérouler des films. Ma douleur est mienne, comme ma solitude ; elle m’est constitutive, elle est sujette à mon autorité, elle est mon petit monstre fidèle.
§ Bien sûr que tu n’aurais pas dû • faire cela. Parce qu’aujourd’hui je ne tiens pour concret que | cette douleur | que | ces images | que | cet espace ouvert à la seule douleur-solitude. La solitude, la douleur, c’est pareil. La douleur, c’est l’apanage de la solitude (dans un monde bien sûr où il n’y a plus de douleur collective). Bien sûr que tu. Bien sûr. Bien sûr. Le désir ne colle pas à la douleur.
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