Où l’on apprend que…
A Lou
§ On s’est promené dans les bois, elle voulait de la forêt, je n’avais que les fourrés de méditerranée à lui offrir. Des arbres malingres, encore sec d’hiver, puis des genévriers, et beaucoup de thym, des aphyllanthes. De la garrigue | pas les grandes pessières de papy, je lui ai dit. Et pourtant, au détour d’un chemin de traverse, « regarde la ruine » | des cailloux partout tenant un pan de mur avec petite lucarne et ancien chambranle de briques. On est descendu plus bas, jusqu’aux falaises.
§ Ce qui avait gravé la roche, ce qui avait creusé sur des dizaines de mètres les calcaires friables aux eaux et au vent, c’était un petit ru, aussi débonnaire que minuscule, un petit filet sans force, qui se laissait couler comme on blague l’été, le soir, sous les platanes en regardant les vieux jouer aux boules. Absurdes de chaleur. On s’est approché à dix mètres de la falaise et on a voulu faire un barrage sur le petit ru lymphatique.
§ On a creusé la glaise mêlée de terre et de racines, de petites poignées de gravier ; la glaise était humide et nos doigts engourdis par le froid, roidis, &ongles sales. On a bâti minuscule barrage sur minuscule petit fleuve, l’eau obstinément renversait nos digues et s’infiltrait continuellement par en-dessous. De petites larves d’éphémères semblaient surprises par les rayons rasant de soleil. On a bâti notre minuscule barrage et on aurait dit que le monde passait sous lui ; c’était la plus belle création de l’univers et on en a orné bassins et pontons de petites pierres plates choisies, &lauzes. Le soleil chauffait comme un premier jour. On n’a pas été loin dans la forêt, mais assez pour craindre le groin d’un sanglier qu’une broussaille annonçait. On a laissé le barrage aux intempéries à venir, et la colère du ru devait gronder à voir le chaos que son perpétuel glissement avait formulé. Même si, dans la montaison, on a pu se croire perdu — tous les genévriers se ressemblent | sans parler des touffes d’aphyllanthes — un âne gueulant au loin nous indiquait le chemin laissé auparavant. Nous avons marqué ce jour d’une pierre blanche, dans nos mémoires, sous forme d’un barrage, souvenir du jadis et promesse des orages de l’été si longuement, avidement patienté.