Où l’on apprend que…
§ Vous savez je ne sais pas. Il se couche après minuit régulièrement. Des fois ils se lève très tôt (il a une sonnerie de réveil abrutissante, horrible, terrifiante, à réveiller les morts). Parfois il écoute de la musique bizarre, antique, païenne, sauvage, africaine, très fort ; mais plutôt en journée, alors ça gêne moins. Parfois on l’entend marmonner tout seul. Mais généralement c’est silencieux. On entend bien des bruits de bouteille, et puis parfois de grandes eaux. Mais vous savez les cloisons déforment les rumeurs. Un grignotis devient tumulte et un souffle un vacarme. Sauf quand il y a des filles, alors là c’est autre chose. Il y en a qui ne se gênent pas pour nous imposer leur contentement, ça ! Nous renvoient leur bonheur comme un vase Ming dans notre poire. Mais nous ne nous laisserons pas faire. J’ai demandé au propriétaire (c’est le même que le nôtre) : il paie bien ses loyers. Et à temps encore. Pas de ce côté là qu’il faut chercher. La police nous a dit qu’on ne pouvait pas vraiment l’attaquer pour le bruit des filles ou des bouteilles. Il faudrait porter plainte et tout.
§ De tout l’hiver on ne l’a pas vu. Il s’est enfermé là-dedans sans sourciller. Ça doit être quelque chose, cette bauge. Pauvres filles ; elle n’ont sûrement rien d’autre à se mettre sous la dent. Si j’ose dire. C’est un sauvage, une espèce d’ours. Les fenêtres qui donnent sur la rue, il les colmate, comme pour s’étanchéiser du monde. La boulangère me dit qu’il vient parfois prendre des kilos de pain. Il a une grosse barbe, l’œil hagard. Il est comme saoul, tout habillé de noir. Dans certains pays, on l’aurait pendu pour cela. Jadis, on l’aurait enfermé. Il faudrait le montrer du doigt, que les gens sachent, qu’il se fasse voir… On ne peut pas laisser faire ça… Pardon ? [silence] On ne sait pas.
§ D’aucuns disent qu’il est écrivain.