François Bon et les éditions Publie.net me font l’honneur de publier un texte, un récit, intitulé Pas rien et, paradoxalement, j’ai beaucoup de difficultés à le… « défendre ».
C’est grave, ce qui arrive. Et c’est très hasardeux, aussi. C’est malentendu et concours de circonstances. J’aimerais revenir un peu sur elles, et exprimer mon sentiment très partagé.
1. Ce texte est ancien, très ancien. Je me rappelle l’avoir entamé à Levanto, à la marge des Cinque Terre, au sud de GEnova, en 2008. Je l’ai écrit d’un trait oui — nom de la collection — et très peu retravaillé. D’emblée il est entré dans la ronde d’autres récits écrits dans des circonstances similaires et tournant autour des mêmes thèmes : L’abandon, le mythique premier « livre », en 2004, et L’étendue en 2006. Si les dates passent, l’écriture s’enfonce. Je ne pense pas avoir conservé les mêmes ambitions, et je ne suis pas même sûr d’avoir conservé le même mouvement d’écriture. Le contexte aussi est différent.
2. Ce texte est d’un classicisme désarmant. La recherche stylistique y est nulle et surtout il n’y a pas, en lui, de prise de risque. Or la littérature est maintenant pour moi un excès, un excédé du langage, un resserrement ou un étirement qui force un peu les bornes, qui brise doucement le carcan. Avec la mesure nécessaire, sinon c’est avant-garde gratuite, il s’agit de pousser, repousser les mots et trouver aise. En le reprenant, sachant que François l’avait accepté (alors qu’il avait été présenté avec L’abandon, qui a été refusé partout), j’ai essayé quelques ajustements, mais il aurait fallu tout récrire. Dans le même temps, ce trio de textes est ainsi fait, construit ainsi aussi, dans leur brièveté et leur discrétion. [2,5. Ce texte par exemple ne souffre aucune fonctionnalité conférée par le format Epub. C’est du texte, un point, et c’est tout.]
3. Il reçoit son ISBN en début d’année 2011 (voyez son numéro 415, alors que Publie va publier son 510 !) et après délais responsables toute part, j’apprends qu’il sera dans les trente de la rentrée de Publie.net ! Il n’est pas du tout pensé pour ça, pour être comme ça affiché, jeté en pâture. C’est presque texte de jeunesse, en tout cas une petite dérive, une aventure textuelle, simple, une vire ou une sente dans le roncier de l’époque, qui mélangeait les restes de la Littérature inquiète et les débuts de GEnove, deux gros morceaux.
4. Gros morceaux, et le plus gros : GEnove, que je viens de publier, justement, en version Bêta, et littéralement telle : c’est-à-dire que la version Alpha est passée, et que nous en sommes à un mode de relecture avec correction de bogues (ici essentiellement des coquilles et des fautes). Ce texte nécessite l’ajout de quelques fonctionnalités (liens internes, puis ajax/javascript, encapsulages divers, etc.) et une large réécriture « in progress » (certains passages sont simplement allocation d’espace et quelques idées force). Gros morceaux d’écriture recherchée, gros morceaux à défendre oui, très loin, dans l’esprit et la lettre de Pas rien. Il se trouve qu’ils paraissent concomitamment. Et qu’assurément, GEnove n’aura pas le relais dont bénéficiera Pas rien.
熊 — D’où le malaise, le malaise propre à l’écriture, et à la publication. Sous le feu, et l’auteur s’efface, fondu dans le livre, alors comment faire pour le porter tout de même.
Hier je regardais un débat entre Jean-Luc Mélenchon et Frédéric Fisbach à Avignon sur l’art et la culture, passionnant. Et il disait, Mélenchon, à propos de l’ordre « globalitaire » (sic), ce qu’il cherche : « Il faut douter de soi pour que ne vous ne soyez jamais créateur et producteur de votre propre histoire ». Ça a tourné, ça, pourquoi ? Pourquoi ce dégoût, ce taedium, tiens, de la chose rendue publique ? La littérature c’est peut-être aussi dans le moment de son écriture qu’elle nous concerne, et le reste n’est pas tant important.
Quiproquos, j’y reviens. Je pense prendre le temps de revenir sur les postulats droits d’Arnaud Maisetti sur l’espace littéraire, ou L’espace littéraire. Mais quiproquos aussi, personnels, sur le livre à venir, ou Livre à venir. Il aurait fallu laisser ce livre à venir pour un espace littéraire autre ; on se serait trompé, dans un futur proche, déjà, encore déjà, sur la littérature que je chercher à capter et donne à lire. Et alors que le nom approche, que le nom se précise, il pourrait ne pas désigner ce qu’il désigne.
Je finirai sur note de François Bon dans un courriel pour relecture pdf.
Le texte fonctionne bien, mais début un peu lent, tu prends plus confiance après.
Oui, début lent, avec contraintes folles : dans le peau d’une femme, sans céder au textuel gratuit, tenir la langue ferme, cloutée en mâchoire, et maintenir aussi tension propre à ce qui sépare — sans fondre dans le séparé. Tâche inaccomplie je crois. Mais une chose sûre : que « plus confiance après ». C’est d’ailleurs peut-être pour ça qu’on écrit des lignes et des lignes, des pages et des pages. C’est qu’à chaque fois on s’approche de dire moins-dire mieux. Dire sans échafaudage, dire sans maquillage. Dire, quoi, comme si disait le livre — et parlait seul, sans auteur, sans nom. Alors peut-être est-ce l’ambition de la narratrice, à l’écart de toute folie, à l’écart des mots même.