Jour 5 : R.IX : Pigna ; R.XI : Sant’Angelo
℘ La chaleur et la douleur au dos persistant toujours plus piquantes, je prends quelque repos forcé dans l’appartement de via Portuense, Trastevere. L’immeuble est un grand immeuble populaire, entouré d’immeubles semblables. Partie de la vie des gens se trouve sur les balcons ; impensable la somme de choses qu’on amasse et ne servent à rien, qu’on remise parfois dans ces espaces mixtes, à la frontière.
On voir l’intérieur des appartements aussi, au moins une partie, et on voit combien tous se ressemblent. L’immeuble est énorme, il y a peut-être cent cinquante appartements, et on retrouve les mêmes gens, les mêmes désirs, les mêmes délires, les mêmes maladies, les mêmes objets, les mêmes meubles.
Vivre en ville, dans une ville telle que Rome : qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Une ville finalement moins dense que d’autres, remarquable par ses espaces verts (villa Borghese, jardins du Vatican, Caffarella, et même les forums romains, pourquoi pas) mais où par conséquent les habitations collectives sont plus nombreuses. Vivre ici, dans le comble du désert touristique (là où plus aucune vie ne compte), y travailler, s’y déplacer, y aimer et pour cela devoir constamment éviter les lieux les plus fréquentés ?
℘ Au coucher du soleil je prends finalement le bus qui mène piazza Venezia, au cœur du « problème » romain. Par chance l’heure et la saison sont défavorables à la foule, mais il y a beaucoup de bermudas et d’appareils photos numériques tout de même (ou même des tablettes, devenues indiscutable concurrents). Le bus finalement me ramène sur le largo Torre Argentina. Voilà exactement le genre de lieu que j’avais totalement effacé de ma mémoire. Il est là lui, avec ses temples et sa tour pourtant, témoignant de toutes ses ruines et de tous ses chats.
Témoignant aussi de ce qu’une ville monde et modèle, telle que peut l’être Rome, recèle de hasards et de circonstances. C’est par hasard qu’on redécouvre ces temples (à Juturne ou Junon, à Fortune, à Féronie, et aux Lares dits Permarini !) en 1926 (pensons comme cela est récent : mes grands-parents avaient dix-neuf ans !) et qu’on doit par conséquente leur retrouver un nom ; le portique médiéval de la tour est lui une totale création des années 40, pour accompagner et protéger la tour del Papito (?) qui est bien du XIVe siècle.
℘ C’est sur cette place qu’on trouve une grande librairie Feltrinelli. C’est ici-même, si je ne m’abuse, que j’ai acheté d’une part le livre d’Edgar Lee Masters que traduira cent avant le Général Instin, d’autre part le livre de d’Arrigo qui cent ans après sera aussi au cœur de mon travail. A l’époque je venais dans le centre rarement, pas plus d’une fois par semaine (Spinaceto est loin et je travaillais six jours sur sept). Et quelques lieux seulement avaient mon attention pour leur soin bienveillant. Largo Argentina, aussi bête que cela puisse paraître, en faisait partie.
℘ Je glissais finalement dans une rue adjacente pour découvrir (ou redécouvrir ?) un “quartier” d’une beauté et d’un calme stupéfiants, autour de piazza Margana. En me perdant dans ces rues, j’arrive subitement sur le Portique d’Ottavia et le théâtre de Marcellus, autres monuments complètement oubliés. L’occasion de se rendre sur l’Île Tibérine, magnifique écharde au Tibre, hélas complètement défigurée par un “Rome plage” de pacotille et revenir, pas à pas, vers Trastevere plus rationnel.
Jour 6 : R.XIII Trastevere
℘ Devoir trouver occupation dans la grande déconnexion (forme d’indigence 2.0 se vuoi), après trop de déplacements, têtes données à droite à gauche, échinements-acharnements, le jour long, long et brillant et tranchant tandis que par ailleurs toute la ville mordille le goudron dans la torpeur.
℘ Marché de porta Portese, café avalé au coin d’un immeuble tellement moche qu’on le croirait parisien ou lyonnais, en tout cas des 80’s, puis après-midi dans la langueur des photos, d’une glace juste en bas et d’une nuit qui promet d’être au dimanche ce que le dimanche fait à tous les autres jours.