Dans le parc municipal, à l’heure terrible ou plus rien ne bouge, que des éclats de télévision entachant la lumière d’hirondelle. Des arbres centenaires, de grands chefs d’ombre, et dessous comme une piste qui ne mène à rien.
Un genre de terre battue dénuée de vie ou de secrets.
Il y a des akènes, dans l’air, qui volettent, et c’est l’été.
Il y a des jeux pour enfant, éventuellement, mais peu importe. Car il y a des enfants. Des enfants à peine, d’ailleurs, puisque ils dérivent entre ces âges, où des toisons les recouvrent et les voix se perdent à jamais.
Ils jouent au boule, mais avec une attention, un art, une technique, une précision, un sérieux, qui dépasse toute mesure.
Assurément, le jeu est pour eux un moyen de faire les hommes.
Ils sont habillés avec classe, méridionaux innés, rasés de près pour ceux qui le peuvent (à quel dieu ont-ils sacrifié leur première pilosité ?), tenus serrés, choisis, un peu affectés. Ils ont des mimiques, des tics, des réflexions qui cherchent à oublier toute naïveté.
J’en remarque un, bien posé sur ses jambes, qui regarde les autres avec un je ne sais quoi de pitié, mais c’est mal dire, plutôt avec gravité, une gravité consciente, comme s’il saisissait déjà la vanité de tout ce théâtre.
Les plus jeunes d’esprit s’échappent à la longue, ou font des tirs sans règles à l’écart.
Quatre, dont celui que j’ai dit, mène une partie stricte. Dans l’autre équipe, il y a un grand étranger, un animal efflanqué, une bête comme une sauterelle, comme on voit des jeunes adultes qui ne savent encore occuper ce corps qui croît. Sa voix est déjà grave, basse enrouée. Lui possède tous les défauts de l’adulte : l’impatience, le sérieux, la mauvaise foi. Il dit même : « j’y arrive pas avec ce terrain ; ce soir ça va pas ; c’est mal joué, et si on lui rétorque (comme le premier fait parfois, pour condenser l’équipe), toi c’était mal joué parce que tu joues mal, moi c’était mal joué parce que je n’arrive pas à jouer bien ». Il est tombé de l’autre côté, ayant perdu la grâce des adolescents pour ne trouver comme recoin à son humeur qu’une attitude déjetée, une façon d’allumette, dégingandée et médiocre, un peu obsolète, un peu médusée.
Mais il joue très bien. Ses grands yeux commandent directement à sa main, et quand il tire c’est pour tirer, quand il pointe c’est pour pointer. Il est moche, mal fichu, mais son jeu est lumineux, habile, intelligent.
Il est étranger, n’est pas de pays (son accent, sa vulgarité en attestent), il est l’étranger, le veneur en butte contre tous et en lutte contre lui-même. Ses cils blonds, sa tignasse mal fagotée, touchent un jeu de jambes étroit et travaillé, son pied, son genou, son coude, son poignet, tout est élégant et efficace.
L’autre, le premier, joue bien aussi, de manière toutefois plus intuitive, plus dévouée au beau geste. Il observe tout l’apparat de l’étranger avec circonspection, amusement (un sourire vers moi me le confirme) et curiosité. De lui transpirent quelques sentiments, même infimes, ou mal aiguisés. On sent poindre l’homme en lui quand l’autre a déjà franchi la barrière de l’inhumain (le sordide, le quotidien).
Lorsque je quitte ce spectacle pourtant attrayant, il est déjà tard. J’ai moi-même laissé dans le jeu un peu plus de mon temps d’absence – celui qu’à tort on dit d’innocence. Et je quitte le parc avec cent ans de plus.