A quoi sert-il d’être seul si pas de réelle mise au point, de bras le corps, son propre corps ?
Le temps passe trop vite, je dors trop, je mange trop, je perds trop de temps à trop de choses. Pourtant je suis seul, sans quasi d’internet, je suis libre d’horaires et j’ai sous la main tout ce qui faut (et même de l’internet échéant).
Avec la nouvelle année peut-être et tous les changements encourus, je me sens comme un grain dans un transfert d’engrenages, dans un ballet de roues, où je n’aurais pas d’air. Moucheron dans la tectonique. Et les plaques me promènent, m’effleurent, me broient, selon.
Tout de même en aveugle, il y a eu du travail, mais toujours comme si je parlais dans la bouche de quelqu’un d’autre. La première achoppe que j’ai saisie a été Suffit sa peine. Mais lassé du petit jeu, ou plutôt peu disponible pour ce faire, bien, et mieux, je n’ai pas accentué le travail au point d’en faire sillon. Puis est venu farigouleBASTARD, pour lequel je nourris plus qu’une affection passagère — hélas sa langue est à ce point singulière, je ne m’en suffirais pas ad vitam.
Alors trouver entre-deux, comme par hasard.
Etrange instant nocturne, car après avoir relu Le fil de l’horizon pour GEnove (quand même enfin — et troisième ou quatrième lecture soi-dit en passant), je me suis promené à effeuiller des pdf de la machine : les lettres du Voyant de Rimbaud et le Refonder de Griot. Et de ces ponts entre les deux (de ces ponts déjà perçus par Blanchot, que cite Griot).
C’est peu dire que j’aime le travail de Fred Griot, mais son “journal” est d’autant plus passionnant qu’il est toujours sévère mais bienveillant, jamais méchant, jamais pédant. Et entier comme le gars. Dense comme ce texte, tout contre le silence.
Si Rimbaud te recase un peu, pourquoi tu es venu là quoi, Griot te rappelle aussi qu’il faut encore reprendre l’écheveau, reprendre l’écheveau encore et encore, jusqu’à la trouver, foutue, cette voix.
Je crois que je passerais des nuits à écrire s’il n’y avait ce foutu besoin de vivre, à côté. Et comme je suis passionné par mon métier, celui-ci bouffe le temps comme un ivrogne. Aussi que c’est plus facile et rassurant de compter des fleurs que de se jeter tout nu dans l’encre, mais quoi. Ce que dit Rimbaud me rappelle quand j’ai commencé d’écrire. Ce que dit Duras, à travers Griot, c’est ce que je ressens encore aujourd’hui.
Fait exprès, ou pas, je les retrouve tous les deux chez le second (dont je reparlerai) :
Ne valent que ces moments où mon texte est au-delà de moi
Où l’auteur n’est plus
Où l’objet qu’il a produit, qu’il a « médiatisé », est objet sans lui.
Je suis je me retrouve je me trouve sur ce chemin c’est à moi que tout cela arrive. Mais si j’utilise JE — ça m’arrive tout le temps, malgré moi — si j’utilise JE, ce n’est pas moi mais lui celui-là un autre…
Je vais donc ouvrir mon cahier tiens. Mon cahier journal à moi, et se remettre un peu à la plume, ça ne fera pas de mal aux doigts. Parce que vois-tu, pour l’instant ce n’est pas d’une terrifiante cohérence ton parcours :
— La littérature inquiète qui réclame du temps (encore Mora, Chatelier, &Griot, donc, que j’ai sous la main, mais que “il faut s’y mettre”) ;
— farigouleBASTARD qui s’agite comme tout seul sur sa colline et dans son bain de mots ; bien envoyé à qui de droit, mais réponse ne viendra sans doute pas ;
— Instin qui préoccupe plus qu’il n’occupe, entre le Climax qui ne sort jamais et les traductions que je me suis imposées Spoon River (parler dans la bouche d’un autre, tiens ?) ;
— GEnove, qui pour l’instant touche à tout à tout sans apparaître très clairement défini — et puis qui tarde à finir.
et tout le reste comme les parasites Pas rien (avec ces contre–indications que je balance à chaque fois aussi maintenant), le boulot Hors-Sol, la recherche de résidences qui ne se fait pas, les traductions de l’italien à envisager sérieusement, avec l’échange Niffoi, l’index du site qui n’avance pas plus, le site qui bancale, la musique où on tourne en rond ! Et puis le manger-dormir qui broute et ronfle le lir&crire.
Pourtant il y a eu des moments de précision, c’est-à-dire de récurrence dans le boulot : Suffit sa peine, quotidienne depuis Gênes jusqu’aux fleurs (11 avril me rappelle), ce retour au net en début d’année dernière qui a fait avancer LI, ce farigoule-hebdo depuis (le garder, garder ce lien avec le Convoi des Glossolales, jusqu’au numéro 1000 au moins).
Mais peut-être c’est juste ça, qu’ :
écrire c’est seul
[Ajout du lendemain, c’est-à-dire aujourd’hui.
Etrangement, Fred Griot publie un texte sur son site ce jour, qui parle justement de ces journaux d’écrivain, de son rapport à eux.
peut-être plus alors qu’une écriture en soi, c’est une écriture de ce travail conduit, une écriture du temps du travail, une écriture du travail mené dans le temps.
J’ai posé donc des lignes dans le cahier (le trente-deuxième chez moi, mais ce sont des cahiers d’écolier, pas Moleskine® !), là, fait accompli : pas tortiller. On connait la chanson, faut écrire. Pas que j’ai pas de projet. Au contraire : finir le commencé, et d’abord GE-nove, trouver éditeur pour les autres (encore ce vieux rêve).
Heureusement il y a les échanges, nombreux, stimulants : la revue D’Ici Là de Pierre Ménard, les Vases communicants (justement j’accueille Pierre Ménard), et c’est bête mais cet autre journal qu’est Facebook, qu’est Twitter. Là encore coïncidence mais Guénaël Boutouillet insiste, encore ce jour !, sur la nécessité de ces correspondances, et oui on acquiesce, bien sûr on acquiesce. Plus on se dissoudra dans le texte autrui, plus on devra retrouver son stylet, plus on se rameute, comme dit Farigoule, après éparpillement.
& merveille d’affirmer que ce hasard n’en est pas un, que les signes s’organisent intelligent, que cela signifie fort, qu’il y a de quoi poursuivre, qu’il faut : collectif, i.e : ensemble, i.e comme un ensemble, ouvert, mouvant – vivant.
La proximité de quelques-uns, Guénaël ou Pierre, Brigite Célerier par exemple, qui soutient, qui soutient, que je cite parce qu’elle aussi, elle dit des choses qui prennent dans un jour vide.
Mais je m’étais donné une règle pour ces cahiers, ne pas en faire un journal, jamais. Un journal intime, non : sûr, un journal d’écriture c’est différent, plutôt l’arrière-boutique, la salle des machines, et puis c’est là aussi où il y a f(r)iction dans l’écriture (comme la critique est f(r)iction dans la lecture), c’est-à-dire va-et-vient, et passages, et tout ce qu’on a déjà dit du &, de l’entre-deux et compagnie. En effet, c’est dans le journal (la correspondance avec soi-même), c’est donc dans la correspondance qu’on peut déposer les balises de son écriture, non pour se soupeser, pas à l’encontre, pas agressif, mais là : dire voilà, moi, eccomi. Même si ce territoire est négatif ou ombré. Même si ce territoire est absent. Même si invagination, ou revers. Même si on a raté. D’ailleurs si on a raté. Du temps qu’on a raté comme il faut.
Finalement le journal de soi, le journal des autres c’est pareil, ça écrit pareil, ça lit pareil, pourquoi on irait répéter ce que d’autres font mieux ? A moins qu’on n’y mette de sa voix, de son truc à soi. Sacré Tabucchi : ce bouquin de rien du tout (je l’ai trouvé en PDF : 33 feuillets ! Farigoule pèse triple !) te rebranche, t’électrocute, te fout à l’eau.]
Il filo dell’orizzonte, di fatto, è un luogo geometrico, perché si sposta mentre noi ci spostiamo. Vorrei molto che per sortilegio il mio personaggio lo avesse raggiunto, Perché anche lui lo aveva negli occhi.