Vendredi 13 prochain, je serai accueilli pour la seconde fois par le centre de recherche ARGEC, ovvero « Atelier de Recherches Génois sur l’Ecriture Contemporaine », dépendant de l’université des langues de Gênes et de la faculté de « francesistica », et animé avec vitalité par Elisa Bricco. Ce centre fait partie d’un réseau de trois centres spécialement dédiés à la littérature contemporaine française, les deux autres se trouvant à Bari (le GREC, Groupe de Recherches sur l’Extrême Contemporain ») et à Rome (LARC, « Laboratorio di Ricerche sul Contemporaneo »).
J’ai découvert l’ARGEC par hasard, enfin presque, comme d’habitude via François Bon, lors du colloque de St-Etienne (encore un sigle : par le CIEREC, « Centre Interdisciplinaire d’Etudes et de Recherches sur l’Expression Contemporaine ») qui lui était consacré en 2007 (déjà !).
Mais à peu près au même moment, c’est Martin Rueff qui intervenait dans un autre colloque, celui-l’organisé fin 2008 par l’ARGEC à Gênes même sur la poésie contemporaine avec Antoine Emaz, Jean-Louis Giovannoni, Jean-Patrice Courtois et Fabio Scotto, notamment.
Je ne sais plus pour quelle raison il y a eu aussi interaction avec Arno Bertina, dans l’intervalle.
Mon propos, si j’en ai un, sera double, et même un peu partagé, voire déchiré entre les deux points de vue.
D’un côté, on ne peut que se réjouir de voir trois centres de recherches de trois université différentes (dans trois villes méditerranéenne magnifiques où j’ai habité, hasard, ou habiterai, aidons-le) s’intéresser ainsi à la littérature contemporaine. Ceci nous montre que l’expression littéraire française ou francophone a encore de beaux restes à l’étranger même s’il nous semble à nous, que les problèmes sont innombrables et insurmontables : sclérose de l’édition traditionnelle, peur viscérale du numérique, marché du produit livre, intermédiaires, et puis l’obédience des gros éditeurs, des gros écrivains, des prix, etc. De tout cela, qu’est-ce qui transfuge hors-les-frontières ? J’étais hier à l’Alliance française de la via Garibaldi : des plaquettes publiées sur les auteurs on voit : Char, Beckett, et autre (je ne sais plus lequel) mais moins mort. Nous auteurs, on devrait plus souvent se sortir de notre nez et voir un peu ce qui se trame, sur notre texte, ailleurs — et bien sûr en profiter pour voir ce qui se trame, comme autre texte, ailleurs.
D’un autre côté, j’aimerais affronter la difficulté de proposer un panorama assez complet et pertinent, et pertinent parce que complet et complet parce que pertinent, tout en laissant, arbitrairement, bien entendu, des pans entiers de production actuelle, et défendant son pré carré (donc rendre pertinent et complet ce qui sera à la fois lacunaire et impertinent) :
• les écrivains du jours s’appellent Remue, Inculte, Verticales, Actes Sud, Fiction & Cie, Joca Seria (salut collectif, pardon), Vasset, Chevillard, Jauffret, etc. (et moins les noms dont on nous rebat les oreilles et qui raflent la plupart des attentions) ;
• ils s’appellent aussi Pierre Ménard, Fred Griot, Guillaume Vissac, Joachim Séné, le Général Instin (voyez ici Guénaël Boutouillet), et toute la joyeuse ribambelle de Publie.net (où l’on retrouve Emaz, Claro, Vasset, Noël, Bozier, etc. tiens, bonjour).
Une littérature contemporaine (un extrême contemporain ? mais contemporain de quoi, de qui ?) existe, et elle utilise tous les moyens de diffusion, jusqu’aux moins officiels et labellisés, et surtout si pas officiels et pas labellisés. Ici comme ailleurs, on campe, on trace, on délimite. Si nous ne le faisons pas, d’autres le ferons pour nous.
De là aussi à insister sur la nécessité devenue pour nous des réseaux sociaux et de l’internet plus GENERALement : Instin, D’Ici Là, les Vases Communicants, le Convoi des Glossolales, les 807, e-pagine ou Poezibao, tout ça ne serait pas possible sans le collectif, sans l’échange permanent. Ce rôle des jadis revues, on le maintient dans ces lieux là, virtuels. Et je saluerai au passage les revues qui tiennent le coup : Inculte, donc, mais le Tigre, BoXoN, Grumeaux, La Femelle du Requin, Multitudes, et on attend la nouvelle TINA etc. 1
Et donc ça bouge : ça remue, ça chatouille et gratouille, ça boutouille, ça ne tient pas en place : c’est l’inquiétude. C’est le &.
La littérature inquiète, n’aurai-je de cesse de répéter, parce qu’elle va voir ailleurs, parce qu’elle ne s’enracine pas, parce qu’elle est curieuse, invertie, immodérée, mobile, plurielle, anonyme, rebelle, belle.
Ce n’est déjà pas facile de faire correspondre les deux mondes, mais les rassembler dans un propos commun relève de la gageure. C’est tout le propos. C’est le & du lir&crire.
Néanmoins c’est avec grand plaisir que je vais rencontrer enseignants et étudiants passionnés de notre écriture/lecture contemporaine, et de venir, peut-être, espérons-le, bouger quelques lignes et tomber quelques murs, tout en délicatesse, comme on sait.
La littérature inquiète. Il n’y a pas d’autre voi.
- Il y a aussi toute l’édition petite ou indépendante, mais c’est autre propos, qu’ils veuillent me pardonner ↩