L’affaire Panitza est une longue nouvelle inédite, présentée ici, et qui débute par ce prologue.
Panitza avait trouvé non pas une chambre, mais une maison, enfin si une maison rassemble en un tout deux pièces dont aucune, ni la somme, ne se nommerait normalement chambre. Après le seuil, avec une unique fenêtre sur la « rue », on entrait dans une espèce de réduit, dont le fond, obscur, était directement excavé de la pierre où s’accolait la ville. Un escalier de pierre, en colimaçon, menait à une chambre, où était disposé une petite table, et un lit sommaire.
Quelle sobriété — mais qui n’est pas pour déplaire à Panitza. Propulsé à force d’outils de progrès dans un monde qui en semble moins démuni qu’indifférent, il revient à ses propres racines. Panitza n’est pas exactement un « Américain » traditionnel. Bulgare, il n’est employé par le Reader’s Digest qu’un temps circonscrit, certes confortable, deux années, ce qui lui permet de résider à New York City, non loin des sausages de X, mais il sait bien que cette situation est exceptionnelle — et une fois sa tâche accomplie, il devra rentrer dans la banlieue de Sofia.
Ce n’est pas qu’il place la Bulgarie plus haut que tout, mais la Bulgarie lui appartient, elle est une partie de lui, et il ne peut faire comme s’il était seulement tout à fait américain, quoique nourri logé blanchi dans l’état de New York, comme sa cousine X qui habite, vit et travaille à Fonda ; elle, elle s’est totalement détachée des atermoiements de l’Europe continentale, et s’est totalement ralliée au rêve américain, au point d’épouser un type du cru (il aura des origines ?). Panitza se sait étranger dans le pays, et donne le change jusqu’à un certain point. Le dinner de Prospero est un monde utile et non seulement utile, c’était son monde de rechange, son univers où pouvoir échanger avec des gens du cru. L’idéal suivra, comme l’intendance. Cela est possible aussi bien à Sofia qu’à New York. Et aussi bien à New York, qu’à Sofia, qu’à Manosque et ses dépendances…
Débarqué ainsi à Manosque, Panitza se dit qu’il serait encore plus utile plus près de sa mission, et décida de lâcher assez vite l’hôtel où sa revue l’hébergeait, pour s’aventurer un peu plus dans l’arrière-pays, au contact de ce qu’il appelait en son for intérieur la « pure réalité » (reality pure).
Panitza avait erré dans tous les villages autour des Redortiers. Il ne voulait pas être trop près ni trop loin du personnage qu’il devait finalement rencontrer. D’abord installé à Banon, il trouve finalement la maison à Revest-du-Bion.
Dès les premiers jours de ce printemps pluvieux dans sa nouvelle installation, ce sont les moustiques qui lui causent le plus de soucis.
À Banon, il a loué une chambre, chez une vieille dame qui était une tante du serveur de l’hôtel de Manosque. Mais cette Emma était extrêmement âgée, elle devait frôler les 130 ans, elle était menue comme une hirondelle mais ridée comme une pierre. Extrêmement accueillante, oui, mais sourde comme une bûche, on avait toujours peur que le vent ne l’enlève. Après une petite semaine, il lui dit qu’il avait trouvé quelque chose de plus commode, plus prêt de là où il devait aller travailler. Elle ne lui en tint pas rigueur, déjà satisfaite par la petite liasse qu’il avait tirée de sa poche pour la payer en billets de banques tout neufs, trois mineurs et deux pêcheurs, en insistant pour qu’elle garde la monnaie, ce qui représentait le gîte et le couvert pour sept jours pleins ; dans sa main elle avait même vu, car pour cela elle ne manquait rien, plus vive qu’une grive et avide qu’une pie, ce gros billet de Richelieu que personne dans le secteur n’avait jamais vu, et qu’elle tâcha de décrire au mieux à qui voulait l’entendre, avec tous ses zéros. Il eut tôt fait de passer sous son chandail, et plus vite encore de coudre sur le revers de quelque toile à matelas du châlit ébranlé.
Puis il se produisit un évènement, toutefois. Alors qu’il s’était rendu à la Rochegiron à une espèce de foire que lui avait indiqué la vieille, où l’on vendait des truffes, il parvint à en croiser un qui lui dit : « Té, Elzévir Boulifier, pour sûr que je le connais. Mais il est pas d’ici, ça non. Il est un négociant plutôt de Durance, il vous faut sortir d’ici et aller vers Sisteron, dans les quartiers d’Aubignosc ou Pépin, exactement, j’en sais trop pas. C’est là que vous le trouverez. Mais c’est pas à côté. Vous faut passer d’autre Lure, par le Jabron, les Omergues… »
L’accent, ail dans la langue râpeuse et grenouilleuse, Panitza affère comme il peut les mots qui sont plus comme de la mitraille, du gravier. Pas sur d’avoir tout saisi de cette bouche pâteuse d’un vieux papé tout côtelé, avec un gilet aux poches salies, et le béret de rigueur, raide comme une baratte. Panitza se figure d’être Lena Grove, à la recherche d’un fantôme, d’une chimère, dans un non-lieu sis entre Alabama et Mississipi pendant la grande dépression, avec un tant soit plus de soleil et de montagnes. Et si le type avait un autre nom ?
Dès le lendemain, Panitza remonte dans sa Dyna, et contourne donc la Lure par les Omergues. Occasion d’embrasser pas seulement regard sur la montagne et ses vallées, mais aussi de passer par ce hameau que lui a aussi conseillé Francie : là ils le connaissent le forestier, comme ils l’appellent, il vous faut tourner droite pour Valbelle, vous trouverez aux Richaud le sieur dit Panisse, c’est bonnard non ?
Vous vous appelez pareil, c’est bonnard, sûr qu’il a des choses à vous dire. Il échange avec l’Artiste. Vous le manquerez pas. Et porté par une fougasse, Panitza s’envola vers le nord…