L’affaire Panitza est une longue nouvelle inédite, présentée ici, et qui débute par ce prologue.
Sonnerie, où est l’appareil ? C’était Catherine, du journal.
« Mauvaise nouvelle, M.Panitza, l’auteur n’est pas disponible, et il me fait vous dire qu’il ne le sera pas pendant quelques jours. Il a une urgence. Je suis moi-même très occupée, avec le bouclage du prochain numéro. Vous avez une voiture à disposition, vous avez le permis n’est-ce pas ? Les papiers et les clés sont à la réception. Profitez bien de votre séjour, je reviens vers vous dès que possible ! Au revoir M.Panitza. »
C’est une blague ? Non, je n’ai pas le permis. Eh bien puisque c’est comme ça, je vais débuter mon enquête. Allez Panitza, en voiture ! Panitza se prépare, s’habille, fait monter son petit déjeuner, puis il s’assoie à nouveau au petit bureau qui donne sur les toits tuilés de la ville. Quel drôle de bonhomme ce type. Dire qu’en plus il habite ici, dans cette ville, sans doute à deux pas. Comment le reconnaître ?
Panitza contemple, désolé, le vide de sa petite chambre : sa valise, à peine ouverte. Les livres que Catherine lui a donnés. La revue. Malraux, ça me dit quelque chose, mais Clara ? Ungaretti ? Mandiargues ? Et « où va la littérature » ? Ah ! C’est bien la peine de se poser la question ! Où va Panitza ? Ça oui, c’est une question à se poser ! Quelle revue de branleurs ! Pff.
Angelo… Angelo. Voyons… Mmm… Quelle liberté nationale me donnera jamais plus de joie que ma propre liberté ? Il n’y a pas de sublime commun. Pff… Où va Panitza ? Hein, mon petit Angelo ? Mon petit ange aux ailes brisées, pourquoi tu m’as conduit ici ?
Panitza regarde encore les papiers, ses feuillets (vides), la carte d’état-major que lui a laissée également Catherine.
Alors, c’est là que ça se passe ? Eh bien on va aller voir. Tu ne sais pas où tu vas Angelo ? Tu viens avec moi, on file à Redortiers. On trouvera bien quelque chose ou quelqu’un pour me parler du bonhomme…
Panitza se vit, tout à coup pris de vertige, à des miles et des miles de chez lui, de l’établissement Prospero, de Bill et de Lucy.
Je suis au squelette du monde.
La chaleur irisait les herbes jaunes. Un souvenir de nuit s’était renfrogné en gros cumulus, sur la montagne de Lure. Ce devait être la Lure, cette baleine à bosse, ce dinosaure assoupi. Les seuls reliefs étaient ces plantes bleu lavande. Tout le reste était scarifié, écrasé de soleil, sans vie. Des arbres au loin émettaient des crécelles ivres. Les buissons étaient en fruits. Les arbres étaient de verre, crissants. Un air comme une haleine, noyée de désert, désolait le bleu.
Il lui a passé devant les yeux, l’image de la terre ancienne, renfrognée et poilue avec ses aigres genêts et ses herbes en couteau. Il a connu d’un coup, cette lande terrible qu’il était, lui, large ouvert au grand vent enragé, à toutes ces choses qu’on ne peut pas combattre sans l’aide de la vie.
Qui est ce pays ?
La question, ce n’est pas : tu vas où Panitza, mais : qu’est-ce que tu vas faire là-bas.
Hormis la bouffée chaude et les crécelles, pas un bruit, pas un mouvement, sinon des crayons des plantes (autant dire rien). Panitza posa le livre. Sortit son carnet, qui était neuf. Il appuya de l’ongle du pouce sur la pliure de la couverture. Il laissa la première page blanche. Sur la deuxième il écrivit. Panitza perdu en Provence, France, par J. K. Panitza. Il tourna la page, et sur la troisième il écrivit. Mardi 7 juillet 1953, quelque part au sud de la montagne de Lure, Provence. Et cela dura une bonne heure. Assis à la place du passager, à l’ombre d’un grand chêne, Panitza écrivit.
Ils allaient voir ce qu’ils allaient voir.
Et cet auteur en premier.