1. Tout pour aujourd’hui
Tous les murs s’éboulaient ; après la ligne jaune, noire, du soutènement, derrière laquelle se découpait la montagne, soudain elle s’affaissait et l’étroite courbure resserrée devenait un tas informe de cailloux déjà habité de petites plantes aussi rêches que discrètes, orpins, mousses, petites fougères des murailles.
Cétérach.
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Voilà c’est tout. Elle pense. Tout pour aujourd’hui.
Tout ce que je peux faire, tout ce dont je suis capable. La lumière se scindait, arrosait la grande maison de visages d’ombres. Il n’y a plus de détail, parfois, pour accrocher les griffes de mes yeux.
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La femme n’est pas très grande, encore est-elle diminuée par l’horizon brûlant et le soir, honnête, qui vient.
Elle marche un peu dans l’herbe encore grasse qui borde les pierrailles. Déjà les premières gouttelettes de rosée mouillent ses pieds nus. Elle avance en disant Voilà. Elle s’accroupit lentement, ramasse l’un des galets. Lui aussi est couvert de lichen.
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Lichens bleus . . . . formes de vie silencieuses et humbles . . . . Où est-il ? Lichen . . . . alliance de l’eau (l’algue) et de la terre (le champignon), dissimulé vers tout ce qui rampe, se cache, se terre, se laisse oublier . . . . bribes de phrases entendues déjà ailleurs, autre part, loin. Bribes de silences gênés qui assaillent.
Mes contemporains. Mes amis. Mes amours. Mon amour. Mon âme. Moi. Rien. Tout ça rien. TOUT ÇA RIEN.
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Tout ce que je puis souffrir, une vieille histoire, une pièce de théâtre ancienne, mais où est-ce que nous dissimulons nos souvenirs, dans quel recoin de notre pauvre tête cachons-nous nos joies, nos peines ? Mais où sommes-nous arrivés, à quelle intersection nous sommes-nous trompés de chemin, de sorte qu’aujourd’hui j’en suis là ?
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Paul Combe n’est plus. On n’entendra plus sous les débris du temps les éclats de son rire. On ne verra plus passer les couleurs veloutés de ses vêtements. Il n’y aura plus de dent dans sa bouche. Plus de peau sur ses os. Il n’y aura plus de poils, plus de sexe, plus de couilles. Il ne restera RIEN de lui. Il ne sera plus.
Il est allongé sur le lit, mais il n’est déjà plus rien. Il n’est rien de lui-même, il n’est rien de lui. Il n’est plus rien de lui. Bientôt des bêtes infimes se serviront de sa carcasse comme d’un terrain pour déguerpir, se cacher, subrepticement se faufiler, se dissimuler. Dans l’orbite de son œil. Dans les méandres de l’iliaque. Dans son dos, sans que cela ne dérange personne. Bientôt ses os seront des pierre et le lichen pourra s’assoir dessus.
Puis il sera un tas de matière inorganique au milieu d’autres catacombes, il sera un vieux mur, plein de fougères et d’orpin.
Mais qui pensera encore à moi ?