Pourquoi tant de haine ?
Même si ce n’est pas vrai, je feins de recevoir des milliers de lettres d’insulte et de commentaires hargneux qui tous me répètent : mais tu craches dans la soupe ! Pourquoi tant de haine ? Comme diraient les plus fins journalistes des meilleurs quotidiens : mise au point.
En tout premier lieu je rappelle que malgré toute la vigueur que je mets à démonter des scies et des lunes, je me considère comme partie prenante de tout ce théâtre. Comme dit ailleurs, il nous est impossible aujourd’hui d’échapper à l’univers capitaliste de la contre-culture.
Je ne crache donc pas dans la soupe si je cherche à porter la critique sur les fonctionnements propres de telle ou telle machination. Je suis un consommateur de contre-culture, comme tout le monde, peut-être même plus, en ce qui concerne le rock et les comics — en tout cas je l’ai été.
Ceci d’ailleurs me permet d’affirmer sans rougir qu’une partie de ce que j’ai lu, vu ou écouté, c’est-à-dire une partie de ce que j’ai été, aujourd’hui ne me concerne plus, et que je trouve que ce n’était pas toujours génial. On ne fait pas de mal à une mouche si on déclare (même publiquement) que Tommy ou The wall ne sont pas des chefs-d’œuvre, loin de là ; si on déclare que la plupart des comics (comme sans doute la plupart des mangas et de la production européenne) ne sont pas intéressants ; si on déclare même que la plupart des films sont tout à fait dispensables. Il y a aussi une espèce de pudibonderie chez les tenants de la contre-culture à ne pas vouloir toucher à Jimi Hendrix, Almodovar ou, heu, Godard, au prétexte que ce sont des monuments culturels… Rohmer et Robbe-Grillet, et même Foucault, tiens, je ne leur prédis pas deux siècles de gloire ! Led Zep, pas plus important que Steppenwolf ! The Doors, moins fort que Love ! Titeuf… heu… pardon. En réalité la valeur des œuvres revient ou du moins peut revenir aux éléments objectifs que nous avons tenté de tracer avec Gilles Amiel de Ménard.
Je tiens également à préciser qu’il est extrêmement difficile, aussi, de faire la part des choses entre une culture qui présente tous les dehors de la contre-culture (alternative, marginale ou subversive, disons comme cela) mais qui n’affiche pas clairement ces ambitions, et une culture qui n’a d’autre objectif qu’économique mais qui adopte toutes les postures et toute l’idéologie de la première.
On me dit : mais aujourd’hui, il ne faut pas chercher la subversion dans le rock, chacun le sait ! Je réponds, oui ! mais il y a toujours une forme de subversion qui veille et toujours une forme de récupération qui surveille (et finalement bouffe) ; ça s’est produit avec le bop, le free-jazz, le rock’n’roll, le hard-rock, les hippies, le punk, le hip-hop, le grunge… et ça continuera1 !
En revanche les habits contre-culturels (le discours, les postures et l’idéologie donc) survivent et se portent même plutôt bien : Femen, Nuit debout, Die Antwoord, par exemple (vraiment pris au hasard !) : ce n’est pas de la contre-culture ? Efficacité politique ? Quasi-nulle. Dommages collatéraux politiques ? Nombreux : noyer le poisson, ennuyer, faire perdre du temps précieux.
J’en vient presque à penser qu’il n’y a que du contre-culturel : l’esprit Canal, le hype et le cool, et le fun à tous les étages, l’alternatif à toutes les sauces ! J’en viens presque à penser que la contre-culture est la culture mainstream elle-même (l’autre culture serait où ? le passé ? le lointain ?) C’en est tellement criant : les Stones plus subversifs que les Beatles ? Apple plus subversif que Windows ? Pepsi que Coca ? Nous baignons dans ces oppositions stériles depuis trop longtemps pour que nous ne soyons pas, plus, dupes ! Osons le voir : la contre-culture est la culture capitaliste !
Il faut donc faire en sorte de prendre conscience de tout cela, de ne pas prétendre tout défoncer au prétexte que l’ambiance est moisie et, comme toujours, se rencogner et, chacun selon ses moyens et ses outils, créer, créer, créer. Ou encore s’intéresser au cœur politique du problème, à savoir précisément les institutions politiques qui décident du vivre-ensemble, et la qualité de la souveraineté du pouvoir.
- cf. Heath & Potter 188-189. ↩