J’avais fini un second tour des suds, calqué sur le premier mais à l’envergure plus réduite (Crolles, Ballan), en me payant le luxe d’un petit détour par les gorges du Cians, dans les Alpes-Maritimes, afin de repérer l’habitat (et les coquilles) de deux espèces endémiques syntopes des pélites rouges d’un affleurement, du socle permien (le même que dans la Maures mais aussi au lac de Salagou, en Bretagne, à Autun, ou dans les « rougiers » de l’Aveyron), et rouges qui font l’originalité (et la beauté) du secteur.
J’ai ramassé l’unique coquille de solatopupa entière que j’ai trouvée et je suis rentré à la maison. Là, la coquille qui semblait nettement abandonnée, s’est révélée nettement occupée, et c’est ainsi que j’ai hébergé durant quelques mois (ceux du deuxième confinement) un petit escargot protégé (ce qui, je crois, est passible d’amende). Le confinement s’est éteint de lui-même. Après une année entière passée à Gênes, mises à part les deux incursions professionnelles de juin et septembre (celles de Tour des suds, donc), nous allions revenir à Paris, laissée nonchalamment en février 2020, pensant revenir quelques quinze jours après.
Par prudence, et sans doute désir de ne pas trop se confronter à ce monde de feu, nous avons décidé de venir à Nice avec le train, mais de là, de louer une voiture jusqu’à Paris — et ainsi du retour. Ce que nous fîmes.
Nous n’avions pas prévu un trajet extrêmement détaillé, mais nous avons toutefois cherché à faire deux voyages, l’aller et le retour, différents. Je n’avais toujours pas d’appareil photo, à l’aller parce que je n’avais pas eu le temps (ni vraiment le besoin) d’en acquérir un alors que mon vieux Canon avait pris l’eau à Ballan, au retour parce que je n’ai pu en acquérir un à Paris, étant un produit considéré non-essentiel, et donc invendable.
Voici avant toute chose, le détail du voyage.
:: Voyage aller : Nice > Paris ::
Jour 1. Nice > Grenoble [(Roya), Pays Niçois, Haute Vallée du Var, Haut Verdon, Préalpes de Digne, Sisteronnais, Pays du Buëch, Diois, Trièves, Chartreuse-Grésivaudan]
Jour 2. Grenoble > La Vineuse sur Frégande [Chartreuse-Grésivaudan, Terres Froides, Île Crémieu, (Bugey), Dombes, Bresse, Mâconnais]
Jour 3. La Vineuse sur F/ > Paris [Mâconnais, Charollais, Autunois, Morvan, Avallonais, Auxerrois, (Pays d’Othe), (Sénonais), Gâtinais, Parisis]
:: Voyage retour : Paris > Nice ::
Jour 4. Paris > Beaune [Parisis, Brie, Sénonais, Pays d’Othe, Auxerrois, Tonnerois, Auxois, Dijonnais]
Jour 5. Beaune > Montbrun-les-Bains [Dijonnais, Dolois, Vignoble, Revermont, (Bresse), (Bugey), Isle Crémieu, Chambarans, Pays de Valence, Diois, Baronnies]
Jour 6. Montbun-les-Bains > Nice [Baronnies, Pays de Sault, Pays de Forcalquier, Pays de Manosque, Brignolais, Dracénois, (Maures), Estérel, Vençois, Pays Niçois]
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Aller
Une fois sortis de Nice, nous gagnons rapidement l’arrière-pays, et la toujours éternelle vallée du Var1. Arrivés à Touët (-sur-Var, cqfd), je pousse à Rigaud pour aller replacer l’escargot protégé dans son environnement originel : tout ce temps il n’aura bougé que quelques heures, nuitamment, et aura fait un genre de petite hibernation ; par chance, je trouve de ses voisins actifs, et par chance aussi, une ou deux coquilles cette fois bel et bien vides.
Je ne m’attarde pas sur le trajet dont j’ai cité les régions naturelles, et dont j’ai déjà parlé précédemment. Arrivés à Grenoble, nous découvrons la France sous couvre-feu, verrouillée, lugubre. Nous promenons le matin à Grenoble, de nouveau, en particulier dans le quartier des antiquaires et sous les quais. Bientôt, après un repas au square du Square, nous reprenons la même route pour Crémieu (je passe) et finalement traversons une partie de la Bresse pour Mâcon.
La route est aimable, jalonnée de villages jolis, jusqu’à Mâcon, belle ville du passé, je ne sais pourquoi je pense toujours à Laval — que je ne connais pas — quand je pense à une ville du passé, des années 40. On s’autorise un tour de ville en voiture, mais on doit filer vers la Vineuse-sur-Fregande, un village non loin de Cluny. Il fait nuit lorsque nous traversons la ville élégante de Cluny, mais nous connaissons avoir quitté le Maconnais pour le Charolais, le relief époumone de douces collines bourguignonnes.
A la Vineuse nous dormons chez nos amis E. et PY. Ce sont nos premiers contacts depuis une année, c’est un peu étrange, on ne sait pas si on se fait la bise, si on peut rire fort, si on peut boire du vin… Un ami nous rejoint, du Samu social de Lyon. La maison est en rénovation, importante. La Vineuse-sur-Fregande est une commune nouvelle (issue de la fusion, en 2017, de Donzy-le-National, Massy, La Vineuse, Vitry-lès-Cluny) : le nom vient de l’ancienne commune la plus peuplée (la Vineuse) et du nom d’un cours d’eau imaginaire, un mot-valise créé à partir des deux cours d’eau de la nouvelle commune : la Frenille et la Gande… !
En Beauce, j’avais déjà été surpris par le nom d’Eole-en-Beauce (en Loir-et-Cher), ou Porte-du-Der (en Haute-Marne) et ma passion bien connue pour ces trucs administratifs me tient au courant de la naissance des nouvelles communes, et le choix du nom est toujours une surprise… parfois c’est la commune la plus grande qui hérite du nom, ou bien la région naturelle (on ne compte plus les Val-, Porte-, Côteaux-), donnant parfois des noms semblables et un peu artificiels à ceux des communautés de communes ; parfois c’est une création telle quelle, comme ici à la Vineuse, ou alors ce sont des noms destinés à mourir : Bairon et ses environs (et les traits d’union ?), ou à vivre : Ô-de-Selles…
Nous repartons le lendemain pour une longue dérive dans le Morvan tout proche, qui m’était inconnu, et ce voyage (alors que le hasard me faisait lire alors la correspondance Mitterrand-Anne Pingeot) suscita bien des émotions.
Terres hautes
oubliées porte de l’hôtel
et sur la place vide
le journal local annonce
terres oubliées
près de l’hôtel
la voix ferrée
Forêt dorée, dôme
creux d’Yonne,
routes principales
traverses
Autun dépassée et effleurée, je crois que nous nous arrêtons à Saint-Léger-sous-Beuvray, avant de rejoindre le cœur du Morvan, pour Avallon (là encore les noms : Poil, Glux-sur-Glunne), via Château-Chinon (Laval disais-je ?), puis Saulieu. Nous ne pouvons rester longtemps, mais Avallon surprend : nous arrivons par l’Yonne, et sous la ville haute, ses escaliers et jardins abrités. Les maison bourguignonnes, fières, grasses, bolognaises. Nous promettons d’aller à Tonnerre, puis enfilons la Seine-et-Marne, et ses embouteillages, après Fontainebleau.
Retour
Nous décidons de partir fleur au fusil, vers l’est, vers Nogent (via place de la Nation restaurée et vide, beau soleil azur) : nous arrivons à Vincennes (j’avais tout oublié de la ville, du parc, mais je vois ici l’argent, l’aisance), puis Nogent.
Nous traversons une Brie lasse (mais pas inintéressante, la difficulté étant de se démarquer de la Champagne, du Berry et de la Beauce : quel est l’obsolescence d’une plaine céréalière ?) et nous arrivons finalement à Tonnerre. D’abord on est entrée en Bourgogne, ça se voit tout de suite (maison, leurs murs, leurs toits, les vignes…). Les amis de la Vineuse nous ont averti : Tonnerre est une drôle de ville, il s’y passe quelque chose de pas clair, les gens sont étranges.
La ville, en général, est vide. Maison blanches et gros toits toujours, mais tout est plus décati. Pour moi l’objectif est à la fosse Dionne, le reste peut attendre. Pourtant, une fois saisi par le lieu, ce sentiment me prend lui aussi. Quelque chose dans l’air, ou la polarité de ce lieu, on sent qu’on pourrait s’aller à l’abandon…
Nous irons ensuite à Châblis, belle bourgade restée active, sans trop de travers touristiques, y achetons du vin, et nous dirigeons vers Beaune, notre étape. Rappelons-nous que nous sortons du premier déconfinement. Comme nous y arrivons, nous entendons la conférence de presse du président, se félicitant de la liberté acquise dans l’été, pour nous annoncer la deuxième fermeture ! Beaune est déserte, il y a — de toute façon — le couvre-feu, le nouveau couvre-feu, à 18h.
Le lendemain nous traçons vers le Jura : nous mangeons un sandwiche avec mon frère à Mouchard, charmant village qui ouvre au Vignoble. Nous sommes passés par Dole, où la ville, étrangement vivace, m’a particulièrement plu. (Je n’ai alors pas d’appareil photo, et je dois à présent, me baser principalement sur la mémoire, déjà abîmée). Alertes météo, et l’orage nous prend de Lons à Crest, où tout s’ouvre (ce n’était qu’autoroute, à cause du mauvais temps). À Crest où tout s’ouvre, la lumière de la Drôme nous accueillera pour la nouvelle étape, qui est toutefois dans les Baronnies, à Montbrun-les-Bains.
Je crois que, par nostalgie, j’ai emprunté la route de Crest à Dieulefit, puis, au lieu d’aller à Dieulefit, l’ignorer superbement, pour lui préférer Crupies, Bouvières, Saint-Ferréol-Trente-Pas, puis Curnier, le col de Rascuègne, Saint-Auban, La Rochette, Aulan (que je n’avais pas vu depuis des lustres), et Montbrun. Encore une soirée inoubliable, avec ce saxophoniste aux clefs d’or, permettant l’accès à l’église. Le village est calme est jaune de pierres, impressionnant.
Je me paye le luxe de passer aux Omergues (pour le boulot) le lendemain, et nous descendons, tout de même, par Manosque (aux alentours défigurés), côtoyons la Durance, rive droite, rive gauche, et tout à coup, par Rians (et une belle route) à deux pas d’Ollières, où je devrais repasser dans quelques semaines plus tard (toujours pour le boulot). Etonnante connexion entre le Var (l’Argens) rouge et le pays de Manosque. Nous y rejoignons l’autoroute, pour le retour à Nice.
Quelques mois après, à la faveur d’un cadeau familial, voilà que nous répétons ce voyage, en l’adaptant un petit peu, afin de ne pas trop répéter notamment les étapes. Je n’en mets que le différent :
:: Voyage aller : Nice > Paris ::
Jour 1. Nice > Loyettes (Ain) [(Roya), Pays Niçois, Haute Vallée du Var, Haut-Verdon, Préalpes de Digne, Sisteronnais, Pays du Buëch, Diois, Trièves, Chartreuse-Grésivaudan, Terres Froides, Île Crémieu, (Bugey), Dombes]
Loyettes, entrevue lors du Tour des suds (du moins le secteur, les bassins de l’Ain et et du Rhône, la petite région naturelle du la Costière, est un bourg riche de son accrochage au grand fleuve. Nous y mangeons (enfin je) des grenouilles, une spécialité. Il y a un caractère fluvial très net, dans le visage des personnes, l’atmosphère, les odeurs, le vent.
Jour 2. Loyettes > Paris [Dombes, Bresse, Mâconnais, Charollais, Autunois, Morvan, Avallonais, Auxerrois, (Pays d’Othe), (Sénonais), Gâtinais, Parisis]
:: Voyage retour : Paris > Nice ::
Jour 3. Paris > Arbois [Parisis, Brie, Nogentais, (Barsequanais/Baraubois), Tonnerois, Auxois, Dijonnais, Dolois, Vignoble]
Arbois est un bourg gras, à cette époque en tout cas très vivace et doucement touristique. Le paysage du Vignoble est élégant, structuré, humain, à taille humaine je veux dire, et très cohérent. En plus de la joie du paysage, de la sérénité de la ville, il y a le délire gastronomique. Et on ne s’en prive pas : morbier, comté, morteau et vin jaune, cet étrange breuvage qui ravissait Clément Rosset, et dont on ne se lasse jamais et avec modération, surtout sur ses terres.
Jour 4. Arbois > Nyons [Vignoble, Revermont, (Bresse), (Bugey), Île Crémieu, Chambarans, Pays de Valence, Diois, Baronnies]
Nous restons quelques jours à Nyons, puisque c’est le voyage qui avait été prévu initialement, plusieurs fois reporté cause pandémie. L’occasion pour moi de faire découvrir (mais en réalité de redécouvrir pour moi-même), les beaux sites du sud Drôme : Saint-Paul-Trois-Châteaux (où nous croisons une vigneronne dont nous allons acheter les produits au domaine, à Bouchet), Grignan-Taulignan, Mévouillon. L’occasion aussi de se familiariser avec Nyons, que j’ai toujours un peu fuie. Un bourg dynamique, étrangement fracturé entre une population populaire à l’orée de la misère (ou de l’ensauvagement, ceci étant ou semblant assumé) et une population de retraités charmés par le petit Nice ; mais dans le même temps, avec toutes ses infrastructures publiques de sous-préfecture, toute une série d’employés et d’administratifs, tandis que, de par sa renommée et sa situation aux portes des Baronnies, son marché provençal géant et impossible, elle draine une énorme quantité de touristes de partout. Séjournant dans la centre ancien, qui est l’un des plus délaissés de la région que je connaisse (comme Saillans, tiens), j’ai loisir de vérifier cela, et aussi qu’il est presque impossible d’y manger le soir, sauf le week-end, que les magasins se raréfient mais qu’il y a de beaux restes, et que certains coins de la ville sont tout bonnement magnifiques (Grand Forts, sommet, place des Arcades et pont roman évidemment). Reste que les bourges de cette taille et de cette position, comme Saillans ou Crest, doivent rapidement trouver un sens à leur existence sous peine de mourir pétrifié, je dirais même vitrifié, comme Dieulefit par exemple, qui a véritablement tourné, hélas trois fois.
Jour 5. Nyons > Nice [Baronnies, Pays du Buëch, Sisteronnais, Préalpes de Digne, Haut-Verdon, Haute Vallée du Var, Pays Niçois, (Roya)]
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- Dans un texte récent, je propose de baptiser le département du nom de Var, étant donné que le fleuve ne passe pas dans ce département, et de le donner aux Alpes-Maritimes ; celui-ci deviendrait l’Argens, numéro 08 : les Ardennes, actuels 08 , sont décalés au numéro 67, Meuse amont — dans ce texte je propose de ne donner aux noms de départements que des noms de fleuves ou cours d’eau, éventuellement de montagnes, mais non pas de massifs ; en outre les sept premiers numéros sont occupés par les départements actuels, moins les départements flous avec le toponyme Alpes : Hautes-Alpes devenant Durance, Alpes-de-Haute-Provence, Verdon ; d’autre part les Savoies, qui avaient conservé un nom de Province, impensable dans une vision révolutionnaire, deviennent Arc et Arve ; à quoi s’ajoute deux nouveaux noms pour les Pyrénées Atlantiques (Adour 01), et la Lozère (Altier 05). Chose étonnante, l’Ardèche conserve le même numéro. ↩