Les photos proviennent de l’exposition sur le nouveau document d’urbanisme (Piano Urbanistico Comunale), qui se tient depuis juillet et jusqu’en janvier à la « Loggia della mercanzia » ou « delle banchi ».
La ville de GEnova est un modèle de ville, une maquette à l’échelle :1, un plan en trois dimensions, une carte borgésienne collant au réel, l’enveloppant, le mimant, l’embrassant. Habitués à une certaine dimension du pouvoir, et taquinant l’absolu, les Génois ont ainsi bâti une ville-monde, avec toutes ses dimensions. Rien qui ne manque à la panoplie urbaine, des bus aux taxis, du métropolitain au funiculaire, du théâtre (Stabile) à l’opéra (Carlo Felice), du musée d’art ancien ou d’art moderne au muséum d’histoire naturelle. Il y a une galerie couverte comme dans les villes du nord (galleria Mazzini), mais elle ne mesure que quelques dizaines de mètres. Il y a un métropolitain comme dans toutes les capitales mondiales, mais il comporte moins d’une dizaine de stations. Il y a une rue commerçante et une place fasciste, il y a des faubourgs et des arrière-cours, il y a un port, un aquarium, un lido ; un stade olympique, un luna park, une centre des congrès, des piscines, un cimetière monumental, un port et un phare, tout un assemblage composite et hétéroclite de quartiers aux fonctions, aux populations, aux architectures diverses.
A vrai dire, il est fort probable que chaque ville italienne cherche à se doter du maximum d’items du catalogue urbain, parce que telle est la ville italienne, telle est la volonté du peuple d’urbains que sont les Italiens. La nature est maltraitée ou domestiquée, comme dans la rocaille ou le parc du XIXe siècle. Les déchets sont partout, dans les rues comme sur les routes, dans la mer, rendus au lido fatigué dévorés par le sel et l’eau. Dans le moindre recoin un peu éloigné, il y a des traces humaines, et toute implantation nécessite son lot d’asphalte et de bars.
Mais à GEnova, ce caractère est d’autant plus visible que l’espace nécessaire à son expression est restreint, et manque. GEnova est une ville bâtie sur le manque d’espace. De l’espace en son défaut. Alors l’architecte, avec le poète peut-être, laisse aller son imagination, dont l’artefact s’ajoute au monde. Un véritable itinéraire à GEnova, un itinéraire qui se voudrait complessif et démonstratif, te ferait passer d’une ville à l’autre, d’une atmosphère à l’autre, depuis les quartiers résidentiels d’Albaro en passant par le lungomare, les grandes avenues commerçantes, le gigantesque dédale du centre historique, les villas ligures de Nervi ou Pegli, l’Italie industrieuse du port, les résidences populaires d’Oregina et Lagaccio.
A l’exception — notable — de l’époque romaine (le manque de Rome marquant un autre trait essentiel de l’histoire, du mythe, de la société génoise), très difficile à lire directement à même le sol, toutes les époques, tous les styles sont juxtaposés, ou plutôt superposés, mais non pas comme un palimpseste comme à Rome (justement), plutôt à la manière d’un cahiers d’épreuves, de coupons, d’échantillons. Il y a une ville pour tous et tout, et tout, de la même manière, participe à l’idée de ville.
Un idée de ville, un idéal de ville, voilà ce qu’est GEnova, un catalogue d’intentions urbaines. Sur le Porto Antico, à côté de l’aquarium, il y a une boule de verre, flottant sur les flots : la biosphère accueille dans le diamètre d’un double décamètre, une portion de jungle tropicale. Y croissent bananiers et caféiers, et on peut y voir amphibiens et reptiles aux couleurs chatoyantes. Un ibis rouge marche le long de l’équateur, sur des espèces de tapis prévus à cet effet. C’est la ville de GEnova, rassemblée dans une boule de cristal, un aleph, portion arraché au monde, totalité finie et pourtant extraite, dedans/dehors mêlés.
Lorsqu’il observe les mouettes et cormorans vivotant des décharges humaines, mais libres de leur mouvements, à quoi rêve-t-il, l’ibis rouge ? Peut-être les plaint-il de ce trop d’espace, de ce trop d’espace humain auquel ils doivent se confronter. Lorsqu’il observe les petits poissons du port, ces milliers d’aiguilles, de cuillères ou de faux, ballotées par le rythme des ferries, est-ce qu’il leur envie leur régime de plomb, ou de pain que des enfants capricieux jettent en surquantité dans l’eau devenue miroir pour la ville où se refléter ?
Ajout le 30. Je marche dans les rues de GEnova avec ce texte en tête, quand me vient l’idée d’une représentation singulière. Cette sphère est la représentation d’un espace impossible, et pourtant pas si éloigné de notre expérience sensible de l’espace (de notre monade personnelle, si j’ose dire). C’est un tout, une forme ronde, parfaite, complète, intègre — arrachée au monde, de lui séparée : un tout qui ne serait qu’une partie, avec de multiples conséquences : l’impossible relation entre le tout et la partie ; l’aspect total de toutes les parties individuellement ; l’impossibilité du tout ; le kyste ou le cancer, ou la bulle, ou la gigogne, etc. Les idées fluent, alors, à mesure que se déroulent sous mes pas la ville ligure : que le palais génois (devrait faire objet d’un texte à venir) est une ville miniature dans la ville excessive ; que pour un urbain, quel qu’il soit, un Italien et un Génois en particulier, l’expérience de la ville est l’expérience de la réalisation, de l’efficacité ou de l’efficience, qu’en vérité — et c’est bien entendu très différent à la campagne — que tout soit possible confère un être-à-la-ville singulier ; etc.