Comme j’appelle mon service « libéré » de fourniture de gaz, l’opérateur me demande si je veux également faire passer le service électricité dans son même giron, histoire d’économiser 3 centimes du kilowatt. Le service électricité est national. Les deux boîtes sont du même groupe, mais l’un bénéficie du régime libéré, l’autre est encore archaïquement nationalisé. Dois-je accepter ?
Ce genre de dilemme est perpétuel avec le capitalisme.
Il est le fruit d’une constante (et obstinée) dégradation des institutions disons publiques, ou pour parodier certains, du monde du passé ; il dénote de la difficulté pour le citoyen de maintenir le cap qu’éventuellement il s’était fixé, de vivre en accord avec ses principes.
Non seulement il agresse psychologiquement la personne : je ne serai donc pas aussi juste que je ne le croyais ? J’ai un comportement qui n’est pas responsable ? Citoyenne ? De gauche ?
Mais en plus il présente un piège évident, par ricochet : on pourra en effet rétorquer à cette même personne : « Alors vous qui vous dite ci et ça, qui nous serinez avec vos préceptes moralisateurs, vous n’avez pas fermé l’eau du robinet ? Vous avez une voiture ? Et c’est une “gazole” en plus ? Comment ! Vous avez pris un véhicule Uber ? Vous êtes allé dans un Airb’n’b ? Alors vous voyez ! Vos beaux discours, hein… » etc.
Et pourtant.
Pourtant deux choses :
1. D’une part il apparaît que dans un monde capitaliste, façonné et structuré selon la philosophie capitaliste, mondialiste, individualiste, il est très difficile de pouvoir maintenir un comportement qui d’une façon ou de l’autre ne tombe pas dans les rets du capitaliste, qui s’émancipe complètement de ces contraintes aussi triviales que quotidienne (consommation, transports, travail) ; ensuite, pratiquement pour les mêmes raisons, il est tout aussi illusoire de pouvoir se rassurer par des attitudes dites écoresponsables, citoyennes, écologiques alors mêmes que celles-ci sont intimés par l’institution totalement dévouée à leur exacte contradiction : limiter le pouvoir du peuple, être tranquille pour tirer toutes les ressources possible de la terre et de la nature, distraire.
2. D’autre part, et c’est sur ce terrain que se joue principalement la bataille, il faut faire la part des choses entre ce qui relève de la culpabilité personnelle, qui est un excellent moyen de museler des aspirations plus glorieuses (puisqu’on est toujours en faute dès qu’on se saisit du bâton dégoulinant de moraline, pour ne pas dire merdeux, qu’on nous tend à longueur de journée), et ce qui relève d’un abrutissement personnel où l’erreur est autrement périlleuse, et engendre de bien pires conséquences, lorsque par exemple on permet ou perpétue des formes politiques qui autorisent, valident, ou appellent de leur vœux les pires applications politiques néolibérales : par exemple en votant aux régionales ou aux européennes, ou en votant aux primaires de la “droite” quand on se dit de “gauche”, ou encore en appelant à des primaires à “gauche” ! Ou tout simplement en votant à tout prix à “gauche” contre la “droite”, comme c’était le cas aux dernières élections présidentielles avec le résultat qu’on voit (c’était pareil en 1981 et en 1995, ceci dit) : essentiellement la perpétuation du même et le même est capitaliste.
Or lorsqu’on a fait ce chemin personnel d’observer objectivement (il n’y a qu’à regarder objectivement, rien n’est secret !) où se trouvent les véritables enjeux politiques (par exemple le vote, la souveraineté du peuple, l’Etat), et que l’on en déroule le fil logique, c’est-à-dire lorsqu’on observe objectivement l’offre politique qui traite réellement de ces enjeux, et qu’on voit par conséquent qu’il n’y a pas d’offre politique qui décide de lutter politiquement pour ces enjeux, que, pour parler vulgairement, chacune se couche devant le soi-disant Réel (comme disait notre Premier ministre), qu’il s’appelle Mondialisation, Financiarisation de l’économie ou Union européenne, comme si c’étaient des déités insurpassables et sur lesquelles nous n’avons pas la main,
lorsqu’on donc on constate l’impasse politique et les fioritures inutiles qui encombrent le débat, comme la distinction entre ce-qui-serait-de-droite et ce-qui-serait-de-gauche, mais aussi les sirènes des alternatives à la politique comme la lutte armée (qui ne devrait jamais s’engourdir dans la durée) ou le bavardage insipide (l’inéfficience politique des occupy-indignados-debout),
bref dans tous les cas lorsqu’on se rend à l’oubli du politique, il faut accepter, piteux, qu’il n’y aucune raison que cette terreur morale ne se mute un jour en sursaut éthique.