Quelque chose est cerné, mais pas encore abouti. Peut-être pas poss’, tout simplement.
On nous apprend, quand on est petit, quand on est enchaîné, qu’il ne faut pas parler de fond ni de forme. Ne pas établir cette distinction là. C’est un précepte, un postulat, auxquels s’agrippent les professeurs de français, pour une raison totalement inconnue, mais qu’on ne peut soupçonner d’être insincère.
On ne sait pas pourquoi, mais c’est mal, alors on évite de se faire gronder et on se dit c’est dommage parce que c’est pratique : le fond, la forme.
J’imagine qu’il y a de bonnes raisons à évacuer des dichotomies à ce point simples. Mais je cherche encore lesquelles. Qu’on les évacue ne dit nullement leur impertinence, et leur usage peut-être simplement méthodique. D’autant que, comme souvent, on se laisse berner par l’arbre qui cache la forêt. Si la dichotomie peut être utilisée, cela ne signifie pas qu’elle puisse être complétée — et notamment par le tiers exclus, le tiers état.
Je maintiens donc la distinction entre fond et forme (tellement pratique en atelier d’écriture par exemple : si vous travaillez sur des exercices de style, n’est-ce pas simplement le détail de cette distinction fond/forme que vous activez). D’autres en ont fait un fond de commerce, qu’on décline en tous sens : « signifié » et « signifiant », et toutes ces sortes de choses é/ant.
Mais je lui adjoins le tiers exclu, qui peut-être lui-même de différentes sortes : espèce de frisson qui passe de l’un à l’autre, il est aussi de l’esperluette.
Il y a certes le fond et la forme. Mais ils ne sont pas seuls à agir : il y a leur entre-deux, il y a leur intervalle. C’est ici que se glisse le truand. Et c’est ici que « prend » le littéraire. Bien entendu, cela ne souffre aucun scalaire et ce n’est pas objectivable, au grand dam des structuralistes. C’est inespéré et intangible, et ce n’est pas que le « style ».
C’est un je-ne-sais quoi mêlé d’intention, d’intelligence, d’inquiétude et d’imprévisible (d’impossible). C’est présent, tapis, sous-entendu, c’est sous le texte. Ou occupe l’espace entre les fibres du tissu. Il y a dans ce monde de l’espace à ce qui n’en tient pas. Il y a une présence de l’absence.
Les fantômes, les morts en général, la mémoire, le fantasme et le rêve, n’attestent de rien d’autre.
L’aube et le crépuscule. Le silence, d’avant. La friche. Le saltus, dans le monde, dans l’âme, dans le corps.
Il y a de l’autre glissé dans le texte, au regard duquel tombent à la fois les notions, les arbitraires et les commerces. Il y a tout l’incommunicable ; tout l’indit ; tout le tu, qui passe entre les mots. Il y a tout ce qui échappe à la main, à l’œil et au cerveau.
Il y a tout ce qui n’a pas d’auteur.
Il y a tout ce qui relève d’une main amputée, d’un œil aveugle et de l’impensé, l’informulé ou l’insu.
Il y a tout ce qui relève de l’excès, de l’inabouti, de l’intenable (dans la surface des pages d’un livre).
Il y a le truand.
Il y a toute la poésie.
Le fond, la forme, et le truand.