Annexe de Féroce, le Livre de Sara, en neuf morceaux.
Sara pose le pied en terre étrangère, elle l’étrangère. Elle a passé la frontière.
Elle n’a pas beaucoup de pistes à suivre : les traces de cet oncle Yeo, qu’elle n’a jamais vu, qu’elle n’a jamais connu, qui un jour, une seule fois seulement, lui a envoyé ce livre, un livre de l’étoile, et pas de mot pour l’accompagner, sauf cette adresse, enfin une adresse : pour toi, de ton oncle Yeo, bons baisers. C’est tout ce qu’il y avait comme adresse, comme dédicace, et le seul indice, indice qu’elle a vertement subtilisé, seule ancre à laquelle s’accrocher, seule poignée pour cette vie qui lui a été refusée, qui lui a été substituée, un timbre postal, un simple timbre qui portait cette inscription :
PAYS DE LUMIERE
AU CLIMAT IDEAL
De nom de ville, illisible, mais tout portait à croire qu’il s’agissait d’Alger ; de date, encore moins.
Vous ne me croirez pas, mécréant, mihimécréant, mais c’est bien la vérité : voilà Sara, à peine adulte (et adulte à peine), qui s’est laissée porter, depuis les terres reculées soufflées d’où elle vient, de l’autre côté du bassin, dans la terre brûlée de Palestine, sur les traces d’un fantôme dans la capitale éloignée, gigantesque et ogresque d’Alger.
Si l’audace ou le hasard formaient une aventure, rien de moins hasardeux et audacieux la viendrait prendre en ces lieux inconnus. Elle n’est pas folle, si elle est obstinée. Est-elle folle ? Est-elle plus obstinée que folle ? Elle sait, elle le sait et le resait tellement remâché qu’elle en a mal aux mâchoires : il est hors de question de s’imaginer prendre le thé avec l’hypothétique oncle Yeo. Personne ne sait rien de lui, dans sa famille de substitution, et rien ne pouvait laisser croire ni à son existence, ni à son adresse, sauf ce nom écrit à main nue sur le papier kraft du colis qui portait ce livre.
Un petit livre de poche français, d’un écrivain évidemment algérien, avidement algérois.
C’est le seul sésame qu’elle porte avec elle, la malmenée, la malnée ; c’est son seul passeport. Avec les lignes qu’elle sait de mémoire. Sur lesquelles elles cheminent, comme un fil de pêche, pour ne pas tomber à l’eau.