Ajout du 07/12/15 Je réalise que j’ai publié ce texte le jour du premier tour des élections régionales, alors que je l’ai longuement
maturéruminé depuis cette soirée en avril ou mai dernier (et donc commencé d’écrire à la date sus-écrite : 11/10). Je n’ai pas du tout fait le rapprochement a priori, ne votant pas aux régionales (car il est attendu que voter aux élections régionales, échelon territorial promu par l’Union Européenne, revient à entériner des structures politiques antidémocratiques et destinées à amenuiser la souveraineté populaire). Bon le résultat était su d’avance, et les stratégies des uns et des autres aussi. Le résultat est un non-évènement.
J’ai passé une nuit à causer avec un écrivain : c’était horrible. Les circonstances ont fait que nous nous sommes retrouvés dans le même festival. Il bavardait avec un ami à lui ; j’écoutais paisiblement, puis il a été question de politique, et je n’ai pas pu m’empêcher de répondre aux narcisses inepties solidement balancées par les compères.
Une qualité reconnaissable entre toutes de ces artistes ou penseurs qui se prétendent de gauche, se décrivent comme libertaires et qui sont pour autant engloutis, englués dans la machine médiatique qu’ils sont censés combattre, est — mise à part la bêtise arrogante qui assène des vérités palotes à la face avide du monde — une naturelle mais acerbe haine du peuple.
Le peuple est tout aussi ignare qu’imbécile, il ne comprend rien des enjeux politiques contemporains, il est inculte et, puisque c’est bien le problème, il vote mal. S’il votait comme jadis, tout autant aveuglément, pour les partis d’extrême-gauche, tout irait bien : il serait tout aussi inculte et imbécile, mais il serait le bon peuple, le bon prolo, le popu, nappe à carreaux, baguette sous le bras, tabac bleu. Malheureusement il vote aujourd’hui à l’extrême-droite, si bien qu’il est assorti aux idées de ces partis : il est devenu raciste, méchant, et il préfère désormais la télé-réalité et le tuning aux MJC et bals musette.
Le peuple, qu’il vote ici ou là, demeure un péquenaud, un ahuri sans goût et sans culture. C’est un fait. On ne s’étonne pas alors qu’il change de bord politique plus souvent que de chemise. Il demeure toujours la dupe des discours qu’on fait sur lui quand on cherche à l’enrober.
L’intellectuel — artiste ou écrivain, professeur, d’une manière ou d’une autre un “sachant” et fier de l’être — aime beaucoup le bon peuple, mais n’aime pas le mauvais peuple (c’est facile). De toute façon, qu’il l’aime ou non, lui, il sait ce qui est mauvais ou bon pour le peuple, alors que, du reste, cela fait bien longtemps qu’il a perdu le souvenir d’une vie populaire, c’est-à-dire une vie bordée de privation, de frustration, et de fins de mois de zombie. Les problèmes de CAF et RSA, l’intellectuel les déplore mais ne les affronte pas quotidiennement ; les courses, les embouteillages ou le RER, et cinq semaines de vacances, il ne les côtoie au mieux qu’au cinéma.
Il faut dire que le peuple lui rend bien ce mépris que j’oserais appeler structurel. Il dénote d’un esprit d’élite et le peuple — par définition tout aussi structurelle — l’élite, il la conchie. Pour le peuple, la droite et la gauche ce sont surtout des types fringués qui racontent tous la même chose et mènent une vie de pacha. Les artistes et intellectuels ? Ce n’est pas loin d’être la même chose. Des gens qui ne mettent jamais les pieds dans le métro1.
Ainsi l’élite, et en particulier l’élite qui se réclame des « valeurs de la gauche », qui a un besoin vital d’une gauche et d’une droite alors qu’en dernier ressort (et précisément pour cette raison) son seul programme est la mise en œuvre du capitalisme à tous les étages, l’élite exècre le peuple.
C’est un sujet qui revient : les polémiques (par exemple ici, ici, là) sur les Deschiens, Hara-Kiri, les Bronzés, etc. Même si certaines de ces productions sont bonnes ou font rire, ou sont bien faites, etc., un vieux fonds anti-prolétaire, paupérophobe, résonne encore. Il se trouve que ces œuvres se réclament toutes de la gauche révolutionnaire ou libertaire. Ce sont les mêmes qui diabolisent les pratiques partis d’extrême-droite pour maintenir le status-quo politique, à grand renfort de moraline, d’auto-satisfaction et de gloriole entendue ; les cochons sont bien gardés, les classes sociales sont bien tenues, les choses ne bougeront jamais.
Notre écrivain primé mais déprimé, drôle (on ne lui retirera pas ce talent) et visionnaire, a donc conclu notre débat houleux par une phrase du type : De toute façon, les gens sont des cons, ils votent n’importe quoi. Cela en disait long sur son idéologie politique et, par ricochet, sur l’œuvre dite sociale qu’il a bâtie de livres en films. Mais à sept heures du matin quand tout de même il a fallu prendre du repos, il fut encore plus subtil et, plus lapidaire qu’un éclair en bermuda, il décocha, en se cachant derrière le paravent du Nihilisme — rien de moins ! — cette sentence définitive : « De toute façon je m’en fous, je ne vote pas. »
Aussi fat que méprisant, c’est au fond un type pathétique, seul, avec un combat de retard ; un type qui ne peut plus aller chercher le pain sans se sentir mal à l’aise parce qu’au fond il se rencogne dans sa toute-puissance qu’il ose qualifier de nietzschéenne si on lui demande — mais on ne lui demande rien, c’est hélas lui qui la ramène ! ; un type qui finalement ne trouve que la balance comme exutoire ; un type qui peut s’attaquer à des causes perdues comme affronter — en terrain découvert (mais connu) — un autre de son espèce, un tout aussi sachant, crâne contre crâne, en piétinant les valeurs qu’ils prétendent incarner et ceux qui, qu’on le veuille ou non, sont foncièrement contraints à la misérable place qu’ils occupent (et que ces caudataires leur assignent).
Le peuple. Que personne, personne nulle part, ni parti, ni syndicat, ni intellectuel d’opérette, ne représente.
- Plus jeune je me disais que le métro parisien était formidable : toutes ces couleurs ! toutes ces langues ! Quel lieu de diversité ! Aujourd’hui je me dis que c’est toujours formidable, mais que ce n’est pas le lieu de la diversité. C’est au contraire le lieu du même même : dans le métro se mélangent les moins riches. ↩
et comme le peuple n’est pas idiot il sait qu’ils (pas que les écrivains) le méprisent et lui répond par le même mépris
de là à penser qu’ils ont raison de choisir l’extrême opposé ? (en fait, il préfère généralement s’abstenir)
L’écrivain en question, c’est celui qui m’a valu l’opprobre ?
Et si, je crois bien…
Bien sûr je ne juge pas le choix ; je constate qu’à force de mépris, on en arrive là.
Tant qu’il le peut, il s’abstient. Mais il s’abstiendra de moins en moins et ira vers les extrêmes tant que des voix ne relaieront pas ce silence… Il s’abstiendra d’autant moins qu’on lui présentera comme une solution l’espèce de gouvernement de coalition qui sera la dernière dragée portée par l’élite politique au pouvoir et qui est aujourd’hui en train de se faire jour sur la déchéance de nationalité, l’état d’urgence (en réalité, le consensus est total depuis longtemps sur les vrais sujets : libre-échange globalisé, financiarisation de l’économie, destruction du politique par le vote de traités supranationaux).
Je suis tellement d’accord que je sais pas comment le dire
Tout de même le monde est bien fait on a beau dire : comme il y a des « exclus » et des « sans-papiers » (il faudrait mettre des majuscules car ce sont des idéaux-types ad-hoc, joliment construits), il n’y a vraiment plus besoin de défendre les classes populaires, et comme ces dernières s’abstiennent ou votent Le Pen, on peut les condamner moralement en toute bonne conscience et la boucle est bouclée, celle du cercle vicieux du contentement moral de la saloperie politique et sociale.
En attendant le progressisme est là pour donner des airs de subversion culturelle ou sociale à l’approfondissement de l’individualisation et de la marchandisation, et les institutions européennes, pointe avancée de la mondialisation néolibérale, dominent de toute leur hauteur la fin de la politique, comme un fétiche intouchable et sacré dont la gauche en son entier ne prononce le nom qu’en tremblant et chuchotant, si ce n’est pour la « transformer ».