Ce texte fait suite, avec quelques autres, à une première tentative, il y a quelques années.
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1. Quand on était tout petit, on allait à travers les autoroutes et les plaines padanes à la mer, dans un luna-park qu’à l’époque on adorait (qui aujourd’hui nous effraie). Pour agrémenter le voyage, entre deux autogrills dont les fumets nous ravissaient, on s’amusait à énumérer les deux lettres des anciennes plaques d’immatriculations des voitures italiennes. Orange sur noir derrière, blanc sur noir, mais en petits caractères devant, c’était déjà, après-coup j’en prends conscience, des petits nucleus de textes. MI, BO, RA, c’était de la Garabagne ou du Leone Leoni, ou du Shadok ou je ne sais quoi (de la botanique : Mibora !), une poésie tribale, très concrète, très terre-à-terre, le mot ramené à la syllabe même. Enfant, quand on découvre un pays étranger, on est perdu dans la langue : alors je m’accrochais à ça. Je me rappelle que même les modèles réduits de Burago (BU RA GO ?) portaient de petites plaques similaires, accentuait leur présence dans notre monde du jeu.
On essayait de toutes les croiser, et, dans ce nord-là, on croisait rarement les MT, RC, PA, BA, OR qui nous ravissaient encore plus.
On essayer de toutes les compter, jusqu’aux plus étranges UD, PZ, KR, BI, VV, on essayait de former des phrases, aussi.
Et seule ROMA, écrite en entier, échappait à ce jeu (ou pas : elle est parfois abrégée en RM).
2. Puis les réformes ont transformé les plaques, il y a déjà longtemps, comme aujourd’hui chez nous. Chez nous ce jeu existait, mais avec des chiffres — moins rigolo. Ces deux lettres, c’étaient leurs départements, les provinces. Il y en avait 100 et quelques. C’était un jeu en soi. Mieux, pour désigner une ville, un village, comme aux Etats-Unis les états (une des nombreuses correspondances que j’ai pu faire entre les deux pays), on le fait suivre de la province, cioè des deux lettres désignant le chef-lieu de la province. Sur les paquets alimentaires, par exemple, pour toutes les adresses en fait.
La réforme qui mit fin aux plaques m’attrista. Mais comme en France (cf. note 2 infra), le sigle réapparut dans un petit cartouche bleu.
3. D’un autre côté, devant la croissance de la population, l’Etat crée de nouvelles provinces (c’est récent, en 1992, 2001 et 2004) : de nouvelles syllabes arrivaient : OT, NU, MB, OG, PU, et même RN finalement, et je me délectait à l’idée d’inventer encore de nouvelles provinces, et je poussais le vice jusqu’à rebaptiser nos départements des noms de provinces qui seraient françaises ; pour Rhône-Alpes : LY, GR, SE, PR, VA, par exemple1. A noter que c’est la ville qui est choisie, et non le nom du département : l’Italie est un pays urbain, à tous les sens du terme et ceci une fois de plus le démontrerait s’il le fallait.
4. Les voici toutes :
AG – AL – AN – AO – AP – AQ – AR – AT – AV – BA – BG – BI – BL – BN – BO – BR – BS – BT – BZ – CA – CB – CE – CH – CI – CL – CN – CO – CR – CS – CT – CZ – EN – FC – FE – FG – FI – FM – FR – GE – GO – GR – IM – IS – KR – LC – LE – LI – LO – LT – LU – MB – MC – ME – MI – MN – MO – MS – MT – NA – NO – NU – OG – OR – OT – PA – PC – PD – PE – PG – PI – PN – PO – PR – PT – PU – PV – PZ – RA – RC – RE – RG – RI – RM – RN – RO – SA – SI – SO – SP – SR – SS – SV – TA – TE – TN – TO – TP – TR – TS – TV – UD – VA – VB – VC – VE – VI – VR – VS – VT – VV
5 On peut écrire tout :
— des villes avec les sigles des villes elles-même, dans un carré déstabilisant : MA TE RA, NA PO LI, GE NO VA ;
— des mots OG NU NO, FI NI RE, MI MO SA ;
— et même son nom VB, meme si Benevento (qui s’appelait jadis Malevento !) a malheureusement choisi BN ;
mais on ne peut pas tout écrire : pas de GI. Pas de NE SS UN, pas de NO BO DI, possibles ; ni de SO ME BO DI. Ni de de PE RS ON NE.
D’ailleurs des manques flagrants : tous les Dx par exemple, ou NI, TI, GA, RU, SE, MA. Ma ! Si on peut VE NI RE on ne peut AN DA RE. On peut MO RI RE mais pas NA SC ER. On ne peut pas AM AR, si on peut LO VE, mais on peut PI AN GE RE. Et là pas plus qu’ailleurs on ne peut VO LA RE, et il est inutile de chercher à PR EG AR, pas plus que PA GA RE.
Je vais donc proposer au président NA PO LI TA NO de créer de nouvelles provinces, de sorte qu’on puisse en finir avec notre abécédaire, que ce b-a-ba s’accomplisse enfin. On ne peut pas parler à moitié. On ne peut pas apprendre à parler à moitié. Comme on fait son lit on se couche.
Je commence par celles qui manquent réellement, on verra plus tard pour les doubles consonnes, les diphtongues vocales ou consonantiques.
AU, pour Aula en Toscane (MC).
BE, pour Bernalda (MT) ou Bellona (CE) ; ce cas est particulier parce que trois villes présentes dans les B, commencent par BE : Belluno (BL), Benevento (BV), Bergamo (BG) ; à trop vouloir de précision, on arrive à ces problèmes poétiques.
BU : on aurait pu penser que ce serait difficile, mais en vérité je trouve cinq villes commençant par BU : Busca (CN), Busseto (PR), Busto Arsizio (VA) et Buonalbergo (au nom charmant) et Bucciano (BN tous les deux).
CU : au choix entre Cutro (KR) et Curtatone (MN) (Cuneo ayant là encore préféré se prévenir en choisissant CN)
DA : je choisis arbitrairement Dàvoli (CZ).
DE : au choix entre Decimomannu (CA), Decimoputzu (CA) ou Decollatura (CZ), trois noms qui en jettent !
DI : plusieurs choix, mias disons Diso (LE).
DO : plutôt que Dolcè (VR), Dolo (VE).
DU : on hsite entre Dualchi (NU), Dueville (VI) et même, carrément, Duino (TS).
Pour les DR, DS, DT, DM, DN, DD, etc., on cherchera un autre jour.
FA : au choix entre Fabriano (AN) et Fasano (BR)…
FO : Foligno (PG) — Forli (FC) et Foggia (FG) ayant laissé le champ libre.
FU : aucune ville, mais ce serait également difficile car passé simple de ESSERE-être, et peut se traduire par « feu ». A moins de prendre, si on veut à tout prix cette province, Montefusco (AV)
GA : je l’attribue abusivement à Gaeta (LT) parce que c’est une riante cité lacustre.
GI : de même, à Ginosa (TA), parce que j’y ai la vieille tante d’un ami de Tarente qui ne parle que de ça depuis le décès de son époux en 1982.
GU : de même, à Guglionesi (CB), parce qu’il faut promouvoir l’excellente région Molise, qui n’a que deux provinces.
LA : de même, à Lanusei (OG)2, parce qu’il y faudrait autant de provinces que de villes au Sardistan.
MA : de même, à Macomer (NU)3, et pour les mêmes raisons, plus ce nom incroyable.
MU : choix difficile entre Mugnano Napoli (NA), Muggiò (MB) et Muro Leccese (LE).
NE : Nettuno (RM) ou bien carrément Ne (GE), qui détient le record de toponyme le plus court avec Lu (AL), Re (VB), Ro (FE) e Vo’ (PD) ; les autres sont déjà pris sauf Vo’, mais on ne le choisira pas.
NI : Nicosia en Sicile (EN) par ce qu’Enna est la province la plus pauvre d’Italie (elle le sera moins) et puis ça fait capitale (capitale d’île méditerranéenne, mais tout de même capitale). Nicotera (VV) peut également faire l’affaire, parce qu’il y aura un autre NI, et parce que ce nom grec pourra accueillir la dynastie présidentielle.
RU : Russi (RA) c’est la seule ville.
SE : une quantité, à quoi peuvent d’ajouter tous les San Exxx, Santa Exxx. Au choix entre Sezze (LT) et Sepino (CB), qui sont les plus rigolos.
SU : guère de choix entre Susa (TO) et Suzzara (MN).
TI : choix difficile entre Tito (PZ) et Tivoli (RM) : on aime les deux.
TU : Tufino (NA), plutôt que Tursi (MT) pour des raisons évidentes de sonorité.
VO : Plutôt que Vo’ (PD) (donc), Volla (NA), Voghera (PV), et Voltera (PI), avec une préférence pour ce dernier, ville étrusque.
VU : Vuvuzella n’existant pas, on doit se retourner vers l’unique VU de la liste : Rionero in Vulture (PZ).
On pourrait même avoir un QU, en la bonne ville de Quart dans le val d’Aoste (AO) (région ET province, c’est peut-être excessif), de Quartu en Sardaine (CA) ou de Quarto en Ligurie (GE) Mais nous verrons ceci dans une deuxième phase, avec IA, GH, GN, CH, ZA, ZE, ZI, ZO, ZU, et éventuellement ZZ qui serait bien utile en italien (et en blues-rock).
Ce long travail de recherche-action, tout dédié à la nation italienne qui vient de fêter l’anniversaire de sa naissance, mérite, je pense, une reconnaissance officielle. Vingt-huit nouvelles provinces italiennes, ça se fête (et ce n’est qu’un début) !
6. Mais aujourd’hui hélas, la crise aidant (en réalité l’œuvre du capitalisme), les provinces vont disparaître. D’ici le mois de mars pour celles dont les élections sont prévues cette année (avec un liquidateur mandaté par l’Etat — genre de gouverneur transitoire — a-t-on connu fin plus dégradante ?), d’ici le 31 décembre pour les autres (ceci était écrit en 2012 ; on ne sait toujours pas où on en est en 2015 !), c’en est fini, et c’est une nouvelle fin de l’Italie qui est en route. Une fin de l’enfance aussi. On s’en remettra, c’est sûr — et je pense qu’on continuera de dire Bogliasco (GE), San Benedetto del Tronto (AP) ou Cefalù (ME). Ces choses ne s’éradiquent pas facilement. Mais peut-être est-ce un symptôme qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la BCE4.
7. J’ai réalisé une série de photographies des dernières plaques, que j’aimerai (mais pense ne jamais pouvoir) terminer : c’est totalement inutile et absurde ; c’est voir comment le réel, et le réel ce qu’il y a de plus urbain, peut influer sur nous, et à travers la langue, et la langue écrite.
- J’ai commencé un vaste travail de réorganisation administrative de la France, qui redéfinit les territoires de manière plus logique, en tenant compte des dialectes, des traditions, des styles de vie, et un nouveau découpage des régions, mais il semble que mes propositions n’ont pas été retenues dans le cadre de notre réforme à nous des politiques publiques (RGPP) ou celle des politiques territoriales. ↩
- Que j’ai depuis visitée, extraordinaire ! ↩
- Que j’ai également visitée, extraordinaire ! ↩
- Précision importante : la proposition de Jacques Attali de supprimer les départements, allant dans le même sens des économies des dépenses publiques, a suscité une levée de boucliers de nombreux habitants et élus. Mais ici le chauvinisme y est pour quelque chose, et la conservation des petits fiefs locaux, plutôt que la lutte anticapitaliste — les représentants des départements étant, avec le maire et le président de la République, les seuls réels élus de la nation. Qu’en l’an 2000 une motion permette d’inscrire le numéro du département (et la région, par son « logo ») sur les plaques à présent réformées représente plutôt pour moi un relent peu louable — c’est très différent de mon point de vue de la disparition des provinces, parce que la province, c’est la petite république urbaine de jadis, et quoi de moins arbitraire comme découpage que celui de la ville ? Oui, en Italie il y a 47 villes de plus de 100000 habitants contre 41 en France mais également 27 de plus de 150000 habitants contre 17, et 15 de plus de 200000 habitants contre 11, et encore 9 contre 5 de plus de 300000 habitants, et encore 6 contre 2 de plus de 600000 habitants et enfin 3 contre 1 de plus d’1000000 d’habitants. Rome a 500000 habitants de plus que Paris, et Milan pareil avec Marseille. Lyon est de la taille de Bologne, Florence, Bari. Il y a quatre villes de plus de 500000 habitants, ce que nous n’avons pas : Naples, Turin, Palerme et Gênes. Ce qui frappe c’est l’uniformité de chiffres en Italie où tout le territoire est recouvert par la ville, avec les disparités françaises où les communes sont plus petites mais disposent d’une énorme ceinture urbaine, généralement. De ce point de vue, évidemment, Paris écrase tout le monde, mais on a aussi des surprise : si Paris effectivement est premier avec 10 millions d’habitants, les cinq suivantes sont Marseille, Lyon, Lille, puis Nice, de plus de 900kh à plus de 1500kh — c’est bien les kilos, ça fait technicien sérieux. En Italie la plus grande aire urbaine est Milan avec plus de 6 millions d’habitants, puis viennent Naples, Rome, Turin et Palerme, ces deux dernières avec un million environ d’habitants, mais les deux autres ! 4,5 millions pour Naples et 3 millions pour Rome. Les définitions des agglomérations étant très nombreuses (agglomération, aire urbaine, etc, variant pour chaque pays) d’autres chiffres donnent 9M d’h à Milan, 6M à Rome, 5,5M à Naples, 4M dans le Veneto… Bref, l’Italie est un peuple urbain — mais on l’avait déjà dit. ↩