L’art de Vercors réside dans cette manière de dompter la lumière du soleil, de l’accompagner dans cette région d’équilibre précaire, puis de la brader.
C’est ainsi que te perdant je me retrouve.
Et je me perds dans le défilé de la Burne ou dans les escaliers et terrasses murés à hauteur du Pont.
Je me perds, me retrouve. Labyrinthe blanc de formes et ombres et éclairages nouveaux.
J’accentue mes pistes.
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J’erre aux alentours d’une bergerie aux pavements bombés. Borie plus ou moins abandonnée, elle sert de refuge aux chats.
Je jure que je chaparde des quartiers de pommes piquées sur un ancien grillage — et deux quignons de pain bis.
Les chats m’observent avec stupeur.
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Perdu, égaré, centre de Vercors, ventre de Vercors, je cueille des mots dans le vent. Les rafales me rhabillent. Je dors mal dans le fruit des murets.
Heureusement il fait soleil pour la saison.
Les murs de pierre sèche relâchent la lumière blanche accumulée, différée, transformée en chaude poussière.
Et je n’ai pas besoin d’eau. Toutes sources jaillissent de poussière.
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C’est ce roc imprenable qui me lie.
La lumière s’égratigne sur lui — c’est plein de sang à la tombée du jour.
On mouche la blessure, on arpente la cicatrice.
Douleur, douleur sereine du précipice et de la pierre froissée.
Des cris retentirent.
C’est la troncature qui me retient, du roc, qui m’agrippe.
Les cris redoublent, horribles, effrayés, effrénés.
Tout semble glisser sur ce gros grain qui déchire.
S’il pleut je suis cuit.
Si le soleil dévale encore, toute mon eau est semée en vain.
Le Vercors. Ton corps primitive mime fontaine figée. Montagne médusant minuscule visiteur.
Je dis ton nom à toutes les femmes.
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Tout ce qui revient à la surface de l’eau est une autre douleur pour toi.
Il y a concurrence, et lutte inégale, entre le monde.
Tu ne peux te reposer, alors tu ahanes et vacilles, mais tu persistes, obstinée.
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Dans ton sommeil les griffures du dehors, nouvelles saignent à nouveau.
Et dans les griffures à nouveaux nouvelles tu te blottis fort, fort.
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Deux gestes animent la nature.
La nature c’est rien de ce qu’on sait.
Tout ce qu’on ignore.
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L’innocence, l’éternelle jeunesse du cycle, l’immortalité. Tout revient, comme l’amour, les mots, les morts.
L’épuisement, l’élasticité mais la ride, l’âge infini. Tout meurt y compris la mort.
L’eau revient toujours aux sources, portée par des poissons ou des larmes.
La pierre toujours est érodée et s’enfonce continument dans la mer (comme les galets mais aussi le son des cloches, les photographies, les mauvais choix, les objets d’une heure, et tout ce qui ne ricoche pas, et même à la fin le ricochet).
Longs plongeons continuels, éclaboussures à rebours.
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L’art de Vercors consiste à se taire quand les cris de terreur ou d’appel à l’aide résonnent et ricochent au fond de la vallée sillonnée.