L’écriture n’abolit rien et tout au plus n’ai-je écrit que pour perdre du temps.
La réalité ne me sert à rien qu’à être transformée dans le texte ; le peu qu’elle tient – le peu qu’elle est – est une brute matière pour du texte.
Qui jamais nous avouera que nous existons ? Personne. Qui nous dira ce qu’est la mort ? Personne.
Personne ne peut dire ce qu’est la mort, car personne ne peut témoigner de l’expérience de la mort. L’expérience du mort, du mourir ou du mourant, peut-être. La mort, personne.
Qui trouvera le sens de nos vies ? Personne. Personne n’expliquera le sens de nos vies, car personne n’est mort.
Qui croit la mort comme un final ou une fin égare sa vie. La mort ne met fin à rien, car rien ne met fin à la mort. La mort est, et c’est le seul sens de la vie. Vouloir incarner ce qui ne ressemble qu’à de la souffrance est du masochisme. Vouloir libérer son âme des affres du masochisme émeut.
(Ce ne sont là que des phrases débutées, des pistes, vite abandonnées, car le sujet est complexe.)
Qui n’a pas connu la joie de se retrouver mis à nu ou le pied au mur, sans plus rien (ou encore procédant de l’art de la faim) ne peut avoir une idée du retard qu’est la mort.
Qui n’a pas dû renoncer à tout ne peut examiner avec sérénité la mort — et cela l’effraie.
Repartir de rien, avec rien, sans affaires, sans rien à faire, sans amis, sans amour, sans parents, sans but même, voilà.
Je répète sans trêve le mot de Démocrite, à qui l’on annonce que ses enfants ont péri. Devant son manque de réaction on l’interroge : il répond « Je savais que j’avais engendré des mortels. ».
Cette phrase ne trahit aucune sécheresse, à vrai dire.
Nous savons que nous mourons, ou, pis encore (ou plus exaltant) : nous savons que nous ne mourrons jamais, par le fait même qu’il n’y a aucune conscience de la mort. Les autres autour de nous meurent ; cela nous le savons ; cela peut nous peiner, mais sans accaparer la douleur d’une juste mort (qu’est-ce qu’une mort injuste ?). Mais nous l’acceptons. Il est plus difficile en revanche, d’accepter sa propre mort comme l’impossible même, c’est-à-dire le seul possible, le seul événement possible, un tant soit peu unique.
Voilà ce qu’est de vivre : s’entendre de connivence avec le mourir, qui n’est jamais que le retard sans délai de la mort.
Nous sommes immortels ; c’est un fait. On envisage alors de donner une clef à notre vie : l’hébétude ou la souffrance.
J’écris dans l’insomnie, la veille, qui est une manière de différer la vie.
Mais je ne vois pas comment saisir avec plus de respect la sève qui nous tue.