Depuis le mois de décembre, à l’initiative de la Panacée de Montpellier, je suis en résidence avec trois autres membres du Général Instin : Patrick Chatelier, auteur et initiateur du projet, Eric Caligaris, musicien et plasticien et Sylvain Périer, SP38, affichiste. Notre mission : occuper un espace sur le site élaboré par Eli Commins et le centre d’art, Textopoly. Cet espace, Espace Autonome Instin est une perception flou, instinienne, d’un modèle de ville, inspiré par la visite de l’ancienne Ecole d’Application d’Infanterie, à présent désaffectée et en attente d’un nouveau destin municipal (école, logements étudiants, tram). Nous visitons la ville avec des yeux hallucinés, nous brouillons les pistes, nous mélangeons les itinéraires.
Que faire ?
Après un premier séjour rapide de prise de contact avec la ville, l’EAI et la Panacée, nous voici lancés dans un projet de restitution sur Textopoly qui fait naître toute une série de questionnements non seulement sur la forme et la nature du général Instin, sur la mise en commun de nos approches mêmes de cette figure inappropriable, de nos partis pris esthétiques et éventuellement de nos convictions politiques.
Mis à part les contraintes techniques de Textopoly, dans lesquelles nous nous sommes lovés en rechignant quelque peu, mais conscients dans le même temps que ces contraintes sont précisément à l’origine des astuces et de la créativité que j’essaierai d’exposer avec Patrick Chatelier dans un prochain article (cf. le point 10 de la liste ci-dessous), nous nous sommes interrogés sur la forme que prendrait l’espace textuel, sonore et imaginal qu’on nous demandait de construire dans un secteur particulier de la carte.
En préparant notre venue, chose qu’ont mieux faite Patrick et Eric, ce dernier a très tôt découvert ce projet de requalification urbaine de l’ancienne Ecole d’Application d’Infanterie. C’était bien sûr du pain béni pour nous. La visite que nous avons pu faire dès le premier séjour, grâce à la Panacée, à la ville de Montpellier et rondement menée par M. Daoudji (qu’on remercie au passage), nous a permis ainsi de trouver là un terrain propice à l’expression du général Instin, mais aussi à l’exploration (par la fiction) du territoire et de son aménagement. C’est-à-dire aussi, de notre part, un positionnement sur la forme d’une ville, sur sa gestion, son expansion et, ce qui m’importe en particulier, sur la manière dont on l’habite.
Un fantôme, militaire de surcroît, a à voir avec ces thèmes. Tous ces thèmes complexes, brassés dans les textes, les discussions et l’espace réel, se sont cristallisés aussi — selon moi — lorsque est arrivé Sylvain Périer, SP38, qui lui opère une littérale inscription sur le territoire ; la visite, avec lui, dans la ville, à la recherche des lieux idoines à l’affichage, le passage dans des lieux aussi divers qu’Antigone, la Paillade, l’Hôtel de Ville, les rives du Lez, le cordon littoral ou le zoo du Lunaret, a actualisé le (ou la) geste instinienne, a dévoilé toute la puissance (imaginaire, politique) de ce personnage.
Cet aspect en particulier a déjà été souligné par les marches photographiques et sonographiques d’Eric, ou par les intuitions de Patrick autour de la donnée tzigane, ou de l’enquête intime qu’il a effectuée à la Panacée et ailleurs. Dans ma recherche personnelle autour du fantôme en littérature pour les ateliers, cette question était sans doute moins prégnante.
Enfin, lorsque notre plan fut prêt, et que nous savions que nous construirions des bâtiments imaginaires dans une interface entre la ville, la figure instinienne et la ville de Montpellier, au travers d’un détournement ou d’un saisissement fictionnel de l’E.A.I., nous avons pu appréhender plus sereinement notre résidence, avec la programmation des différents temps de travail (écriture, visites, rendez-vous, ateliers, réunions avec la Panacée…).
Les textes rapidement présentés ici serviront peut-être de tracé de mémoire, et peut-être est-ce là l’une des vocations du général Instin.
Journal de résidence
Il me semblait important de tenir quelques notes qui fassent un peu “journal”, car je pressentais très vite que cette résidence était très singulière : collective, morcelée, pluridisciplinaire, territorialisée, et cernant une figure aussi mégalomaniaque et imposante que celle du GI. Nous avions également une masse de brouillons, de réflexions, de notes éparses, de fragments de fictions, de sons et d’images ; les présenter de loin en loin (tous les quinze jours par exemple) pouvait maintenir une pression d’écriture, un entraînement d’écriture.
Voici les thèmes qui seront abordés :
0. Instin x Textopoly : présentation [ici-même]
1. Le séjour
2. Première visite à l’E.A.I.
3. Le Septième Ciel, ou la folle machine fiction collective
4. A.monument
5. Préparation des ateliers d’écriture
6. Des plantes et de la botanique
7. Cimetières
8. Du fait militaire
9. Ailleurs (Sète, Cette, 7)
10. Textopoly, petit précis de l’utilisateur
Journal de résidence du GI
Très tôt, reprenant une idée ancienne, je me suis mis en tête d’écrire une correspondance entre le Général Instin et Adèle, qui accompagnerait la résidence. Peu à peu cette idée est devenue l’un des morceaux du projet Textopoly ; en notant quelques bribes de ces correspondances, et dans l’avancée de notre projet de restitution, l’idée est venue d’une inversion du concept — mais je me rappelle bien l’arrivée à Montpellier : j’étais dans un wagon plein de bidasses, des légionnaires, qui parlaient quatre ou cinq langues, que je n’ai pu identifier ; je me suis dit le soir-même, sur la place de la Comédie : « Et si le Général Instin n’était pas le général de cette caserne ou de cette ville qu’il aurait prise ou soumise, mais s’il était lui-même le Prisonnier, le Prisonnier Ultime, prisonnier de sa caserne, de la ville, de son grade, du protocole, du pouvoir ? »
J’ai donc imaginé tout de suite un Ailleurs, représenté pour moi de manière très forte par l’anti-cité montpelliéraine par excellence (et le séjour et les discussions ne feront que renforcer cette impression — salut Juliette !), à savoir Sète.
Cet Ailleurs était aussi pour moi une espèce de bouée de sauvetage, une manière de sortir de toutes ces contraintes concrètes (paysage urbain de Montpellier, contraintes techniques de Textopoly, figure imposée de l’EAI, concessions au collectif (!)) et de réserver un lieu de fiction, secret, intime, personnel.
J’ai donc tenu ce journal de résidence, dans la peau du général, où divagations intimes, fragments de lettres, réflexions naturalistes, ébauches stratégiques pouvaient se succéder sans ordre particulier, sans rime ni raison.
Occupation de Textopoly
Cette liste est donc le fruit d’une réflexion intense, qui a duré plusieurs semaines et qui est le fruit de grandes discussions entre tous les trois puis tous les quatre, de longues visites urbaines, de nombreuses rencontres locales, etc. A la sortie de 2012, une liste a été établie ; avec l’arrivée des Transmissions ou de la Piste d’Audace celle-ci est finalement complète :
1. Le cimetière
2. La piste d’audace
3. La villa
4. La place d’armes
5. Le cinéma
6. Les transmissions
7. Le musée
8. Le polygone
J’installerai les liens lorsque les “monuments” seront jugés “terminés” — du moins de notre point de vue.