Le spectacle de Heiner Goebbels possède un avantage certain : celui de faire sortir des textes jugés difficiles des cénacles où ils sont habituellement confinés (articles abscons, cadre universitaire).
Le « concert scénique » est composé de trois tableaux, relativement indépendants. Chaque tableau possède son propre décor. Le premier tableau « tourne » autour du très beau texte de Thomas Stearns Eliot, La Chanson d’amour de J. Alfred Prufrock qu’il est bon d’entendre déclamé sur scène. Le second tableau est constitué d’une traduction anglaise par Goebbels lui-même de La folie du jour ainsi que de l’Excursion à la montagne de Kafka. L’assemblage de ces deux auteurs semble évident pour les connaisseurs, mais est encore plus roborative l’assemblage des deux textes. Le troisième et dernier tableau provient de Cap au pire de Samuel Beckett, dans sa version anglaise également.
Il y aurait beaucoup à dire sur le spectacle, qui est riche en inventions et profus en silences, et cela mériterait de plus amples explorations. On peut néanmoins souligner quelques traits décisifs, qui amendent sérieusement les textes nus.
1. la musique et le chant, magnifiquement interprétés par le Hilliard Ensemble, lequel conditionne la langue anglaise par sa langue, son accent typiquement britannique, répond aisément et fidèlement au texte.
2. la qualité des décors (Klaus Grünberg, Florence van Gerkan, Willi Bopp) favorise l’invention des acteurs et permet surtout de perdre le texte, si perdre peut être une valeur, en tout cas une identité pour ces voix perdantes, pour ces mots perdus. Les inventions spatiales s’accordent parfaitement avec le fond des textes. On se rappellera que le titre est I went to the house but did not enter.
3. l’usage du texte. Il ne viendrait à l’idée de personne de récuser le choix du groupement de ces textes. Eliot, Blanchot, Kafka, Beckett. Dans la foulée, les quatre auteurs se succèdent, et là où on pouvait craindre une formalisation artificielle, à la manière dont les quatre voix des musiciens en forment une cinquième, les autres auteurs en forment un cinquième, un auteur secret, extérieur, noir.
4. les acteurs. Les acteurs ne sont pas des acteurs. Ce sont des musiciens, à qui l’on a demandé de chanter leur partition tout en interprétant les musiques de Goebbels sur des textes qu’ils ont dû apprendre par cœur.
Il y aurait d’autres choses à dire, là n’est pas le lieu, et nous n’avons guère le temps, mais nous pouvons reconnaître la qualité du travail de Heiner Goebbels, avec des textes difficiles, et nous encourageons toutes les personnes que l’écriture de Blanchot touche de se rendre, dès qu’ils le peuvent, à ce spectacle rare et exigeant.