A l’époque c’était une petite chambre, dizaine de mètres carrés, murs éclaboussés de fleurs vieillies des tapisseries décaties. Un repaire, qu’on avait occupé du mieux pu. On les couvrait, ces parois, d’objets divers, de paysages, de hérauts, moi n’y avais qu’une fenêtre mais couvrir surcouvrir les vieilles fleurs c’était au contraire ouvrir de nouveaux espaces. On couvrait surtout de Scotch®.
Un poster du Surfer d’Argent. Un EP décoré de Nirvana. Des cartes postales des rares voyages (que sais-je la Corse, l’Italie). Plan de New York ou de son métro trouvé dans Géo. Peut-être un tableau érotique de jeunesse de Mirò, pour faire cul sérieux (autorisé donc), et un dessin d’un ami, vers qui on penchait. Trucs, babioles, gris-gris ramené des impensables : jeton de métro russe, pièces et billets d’ailleurs venus d’un cousin, prospectus de musées de capitales ou moins, coquilles de bivalves, morceaux, débris, musée minable, pas même du modeste, mais du rebut, du moitié brisé, de la camelote personnelle. On s’achète l’île comme on peut.
Surcharge d’imaginaire, aussi enfermée dans tous ces comics, pourtant français élevé à l’américaine, même en province, c’est ce qui a changé avec génération d’avant. Et les livres, on les ouvrait plus, c’était trop d’effort sans doute, fallait voir l’écran qui se reproduisait de pièce en pièce et ses couleurs criardes et ses mouvements séduisants, c’était l’énergie, c’était l’œil qui pompait toute la nôtre.
Au point qu’on ne sortait plus non plus, dehors, en vrai. Ou alors si, mais dans la nature, c’était réflexe, retournement soudain, et moitié nu dans les feuilles mortes, dans les sables froids et durs qui faisaient paysage digne de série TV, un peu comme pour embraser la terre, glisser dans la forêt, sauvageon. Mais c’était dehors seul, solitaire théâtre des yeux barrés d’images.