Une polémique éclate encore, en Italie, lorsqu’un acteur venu à un congrès du Parti Démocratique (alliance de gauche) s’est adressé au public en lançant un « Compagni e compagne ! » historique, quelque chose qui serait proche de notre ancien « Camarades ! ».
Malgré les applaudissements, un certain nombre de militants, notamment les « jeunes démocrates », et quelques personnalités importantes (le frêle d’Alema par exemple), ont révoqué ce terme, disant qu’il appartenait à un passé révolu (et qu’il faudrait liquider, sans doute, aussi).
C’est à la fois triste et inquiétant.
Inquiétant parce que décidément, cela démontre que la gauche ne parviendra pas à fonder un véritable programme sans accepter ses racines libertaires, ses racines de gauche ; les jeunes démocrates apparaissent de fait comme de vils réactionnaires, intéressés et avides. Ce qui desservira (toute) la gauche comme c’est le cas par exemple avec les grands écarts théoriques du PS français.
Triste parce que c’est une tradition entière qui se referme, qui est niée et baillonnée.
C’est oublier le sens profond de « compagnon » (puisqu’il s’agit de cela en italien), qui est encore plus beau et riche que notre « camarade », de cet autrui avec qui je partage le pain même.
C’est oublier l’importance de la « compagnie », et donc de la communauté, puisqu’il m’est impossible, à moi, de ne pas lire dans le mot de camarade-compagnon le mot de communauté, désœuvrée, inquiète ou inavouable, celle, oui, évoquée par Maurice Blanchot et qui aujourd’hui, hélas, ne peut (veut ?) plus se faire entendre ?
Zone en travaux
Il n’y a pas de communauté, il n’y en a plus.
Il n’y en a jamais eu. Une communauté ne se déclare pas telle par le simple fait qu’elle se réunit. Il lui faut une interaction entre ses membres. Elle se constitue précisément sur l’entre-deux qui vibrionne de la présence de deux individus. Sur ce tampon de silence et de vide qui environne deux singuliers.
C’est le partage des singuliers, sans nécessaire échange, sans nécessaire fusion ou adhésion, plutôt souvent distance, différence, écart, afin que les aspirations, les désirs, les paroles (soufflées ou à peine murmurées) fassent force résistante, radicante, revendiquante.
Il s’agit d’un accord tacite, peu amène, sur des sujets délicats qui impliquent qu’on puisse se sacrifier, sacrifier nom dans la publication, et image dans l’exposition, qu’on puisse sacrifier son confort personnel pour risquer d’être détruit pour autrui.
Détruit pour autrui, s’oubliant.
Maintenir, s’oubliant.
Maintenir.
Maintenir.
Maintenir le pain.
Maintenir.