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Le Fau, pour une version griotienne du faux-Jabron܍, mais plus probablement lié au nom local du hêtre, le fau/fayard (du latin fagus/italien faggio) la rivière principale de Dieulefit, affluent du Roubion et du Rhône (à Montélimar).
Cette petite rivière joue un rôle capital dans cette histoire, mon histoire et l’histoire du lieu. Affluent du Jabron܍, elle prend sa source au nord de la montagne de Roc܍, l’une des sept1 belles collines qui enserrent le village et lui donnent cet écrin améthyste, au niveau du col de Vesc, sur la commune éponyme. On le remonte le long de la route de Comps. Je cite ces noms non seulement parce qu’ils sont beaux, Comps, Vesc, mais aussi parce que ce sont les seigneurs de Comps et Vesc, deux maisons du Haut Moyen-Âge qui se disputent le pouvoir localement après l’An Mil, qui vont fonder Dieulefit, d’abord sous la forme d’une maladrerie (peut-être du fait du climat).
Au col de Vesc, à la bonne saison, entre le 15 avril et le 15 mai, on peut trouver une explosion d’orchidées avec pas moins d’une vingtaine d’espèces de manière contemporaine, dont la fameuse Ophrys drumana, l’Ophrys de la Drôme, aujourd’hui ramené dans le giron d’Ophrys saratoi, dont j’ai déjà parlé dans GEnove.
Tout le monde aime Vesc et Comps, leurs paysages (un plateau de prairies de fauche et de fourrage, parfois humides, et de marnes, qui donne sur Saou et Couspeau, Miélandre et Angèle), leurs picodons, leurs châteaux et chapelles — la chapelle de Comps, inachevée et élégamment déséquilibrée, est classée l’une des plus belles de l’art roman mondial2, et c’est l’un des clous du secteur. Que le Fau vienne de là me rassure. Le Jabron, du reste, vient lui aussi du plateau, sur la commune de Comps : on conçoit alors la logique de Dieulefit.
Le Fau et le Jabron܍ viennent donc arroser Dieulefit, et permettent, en des points stratégiques, l’installation des industries textiles, en particulier les usines de soie et de draperie Morin܍, à la Faïence܍ comme aux Reymonds܍. Nous sommes dans la région du ver à soie et les petits ruisseaux bien fournis font tourner les machines. Du canal d’amenée du site des Reymonds܍, je n’ai qu’un vague souvenir ; en revanche je me souviens très bien de l’exploration téméraire du Fau, seul ou avec ma chienne, ou avec l’ami N. (qui y péchait, d’ailleurs). En aval, c’était simple, hormis une grande cascade dont il fallait faire le tour, puis une seconde au niveau du camping, à la confluence avec le Jabron. En amont, c’était une aventure incroyable, dans les ronces, sous la ripisylve mixte de bois tendres et durs, les pieds dans l’eau, jusqu’à Beauvallon܍, justement. Au-delà cela devenait quasiment impossible.
C’est dans ce paysage de jungle que je formais mon attention à la nature. Ç’avait commencé avec des populations de bourgognes dans les orties non loin de la distillerie. Puis la découverte de la microfaune du cours d’eau, qu’on appelle « macroinvertébrés ». Un petit guide en poche, et je cherchais avidement gerris et notonectes, mais bien vite des éléments plus discrets ou secrets : toute la panoplie des vers ronds et plats, les moches larves de tipule et autres diptères, les gammares et microcrustacés, larves de perles, de porte-bois, de dytiques, les voraces larves de libellules et leur masque de chasse, la féroce nèpe cendrée et ses pinces inoffensives. Puis ce furent les poissons, et peut-être quelques plantes, je ne sais plus.
J’avais déjà été fasciné par ces êtres fragiles de l’eau, je me rappelle avoir passé des heures devant le bassin de l’Harmas de Jean-Henri Fabre, enfant, avec ma mère et ma grand-mère.
J’ai évoqué dans Féroce cette passion qui m’avait conduit à récréer l’écosystème dans une espèce de bac à sable dans le jardin d’été. C’était pour moi un paradis, un monde clos, une utopie. Et je me passionnais alors pour les milieux naturels, considérés comme tels : de petites planètes autonomes, avec leur vie associée.
Évidemment lorsque je revins à Dieulefit, avec mes cours de BTS, toutes ces sensations et impressions remontaient à la surface. Mais je délaissais le Fau.
Je commençais à collectionner les cartes IGN. J’achetais celle de Dieulefit, la première, et je disais à ma famille : mais pourquoi on ne connaît pas les gens de Vesc, de Comps ? Pourquoi on ne va pas jamais Teyssières ?
Un peu plus tôt j’avais commencé à randonner avec un autre ami, S., et ses parents : les Plaines, Rachas, puis Miélandre, Cougoir, la Lance… Je m’intéressais de plus à ces villages autour de la Malaboisse܍ (la route de Nyons et, incidemment, de Valréas܍), et je tombais en admiration devant le Lez܍, l’autre rivière. Je devais faire un stage pour le BTS, et je me rapprochais du Syndicat de gestion du Lez, et proposais une étude des milieux de l’amont du Lez, quatre communes de mon canton : Roche-Saint-Secret-Béconne, Montjoux (dont on connaît mieux un quartier, la Paillette), Teyssières et… Vesc. Et de là naquit l’aventure de la Maison de la Lance, que je ne vais pas aborder ici.
Ainsi je mettais vers le cap vers un sud toujours plus avide, qui me détacha bientôt de Dieulefit. À juste titre : l’usine Billion fusionna avec une autre entité, Mayor, et j’ai déjà évoqué la suite. Mon père mourut en 2007, je me transférais à Taulignan en 2010, et ma mère déménagea à Montélimar en 2014 ou 2015, et elle disparut en 2019.
Comme lors des crues dévastatrices de 1991 et 1992, et comme toujours, l’eau du Fau (l’eau du Jabron܍ ou du Lez܍, l’eau du Rhône) avait tout emporté sur son passage, la mémoire comme l’oubli.
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