Non pas en marge, mais en vis-à-vis d’une série de textes que je m’apprête à parcourir pour la revue Remue.net, à l’invitation de Guénaël Boutouillet (que je remercie), je souhaiterais ici, dans ce lieu qui, a priori, serait plus intime — au regard tout du moins de sa rédaction — et concomitamment, affronter un autre pan de mémoire.
Je dis, en introduction de la rubrique qui m’a été confiée, que je souhaite, dans la mesure de mes capacités, « livrer […] une série de textes sur la relation que j’ai entretenue, pour des raisons professionnelles, avec le concept abstrait de territoire […] Le territoire est un espace organique et organisé, renvoyant tantôt à l’écologie (le territoire du prédateur) tantôt au fait politique (le territoire administratif) ; il est ainsi un lieu privilégié pour l’expression de symboles, de désirs et de fantasmes. »
Pour des motifs qui m’agitent en profondeur, je raccroche, sans trop savoir (sans trop avoir fouillé la question, et sans trop vouloir le faire) la cause objective de ce processus, je raccroche cette approche du territoire (lors de cette pratique professionnelle et indifféremment dans le souvenir que j’en ai et les rebonds d’écriture que j’en tire) à une donnée personnelle, familiale, filiale.
Mémoire et territoire sont liés, et si j’aborde l’espace dans la série de remue.net, c’est ici non pas le temps, auquel je ne crois guère, mais à la construction d’une parole ou d’une vision — je ne saurais déjà nommer ce phénomène — singulière. Ce n’est pas le temps, c’est un amoncellement de figures et de voix, d’espoirs comme de déceptions, un apprentissage, et peut-être ce n’est rien d’autre que ça, d’écrire ça, un apprentissage c’est nouer des espaces entre eux, ou, dit autrement, ce qui anime ces espaces neutres ou inertes, c’est l’humain qui les porte, les transporte, les transforme.
Je ne crois pas qu’il y a d’autre phénomène humain que le mythe, le récit de guerre1 2, la liste, le récit de voyage, l’essai littéraire ou le réalisme magique n’aient chercher, et souvent réussi, à décrire.
Je ne sais pas, au seuil de ce nouveau parcours, si ces thèmes seront vraiment présents dans des textes qui ne sont pas encore écrits. Je vais tenter de faire venir, ou faire sourdre, des voix et des figures qui ont donc constellé mon enfance.
Des figures discrètes, des voix humbles, une langue médiocre mais géniale, celles des ouvriers qui faisaient tourner l’usine textile en face de la maison, disparue(s) aujourd’hui, dans la destruction de laquelle (desquelles) j’ai, moi aussi, abandonné une partie de ma vie.
Je tiens également à faire une précision : je ne souhaite pas, dans Bobines comme dans Bornes, m’exprimer à dire d’expert ; je ne pense pas me documenter outre mesure, et ne travaillerais pas comme un journaliste ou un documentariste. La donnée essentielle, le flux essentiel est souverain, et souverainement littéraire — c’est-à-dire sans limite aucune.
- Je viens de terminer L’usage des ruines de Jean-Yves Jouannais, et je n’aurais pas cru si ténue la distance qui séparent (dans le désir en tout cas !), pour ne citer que quelques noms présents dès l’introduction, Jouannais, Vila-Matas, Tabucchi ou Borges. ↩
- Ajout de 2024 Comme je reprends ce texte, notamment à l’Imec, j’y rencontre à nouveau Jouannais, qui y présente sa bibliothèque obsidienne ! ↩