Une œuvre du peintre Cy Twombly a été « dégradée » par une spectatrice sans doute aiguisée et aiguillée par ce diptyque.
Cela bien sûr a ému une frange de l’intelligentsia parisienne ou avignonnaise, qui n’a pas manquer de vouer aux gémonies la jeune femme, qui doit être jugée ces jours-ci.
Voici la lettre qui a été affichée, en place de l’œuvre « salie », par la conservation de la Collection Lambert.
[…] Quelles qu’en soient les motivations, un tel acte ayant pour conséquence un dommage – peut-être irrémédiable – sur une œuvre d’art, ne saurait trouver de justification.
Offrir des œuvres au regard du public, à la contemplation et à la connaissance est une démarche généreuse de la part des artistes et de ceux qui diffusent leurs travaux. Tout acte de vandalisme met en danger cette diffusion. Les artistes en sont les premiers conscients : souvenons-nous que lorsque Duchamp met des moustaches à la Joconde, il choisit une reproduction. Les visiteurs des expositions doivent ainsi comprendre la gravité de tels actes. Et leurs auteurs ne doivent pas s’abriter derrière une démarche soi-disant artistique.
De nombreuses remarques méritent un tel texte, qui appelleraient de longs développement qu’il serait peut-être légitime un jour, à l’époque de la licence libre et de l’internet, d’examiner dans le détail.
Sans accuser immodérément son auteur, sans même le citer (il est du Centre Pompidou), je souhaite simplement rappeler très clairement et très distinctement trois faits.
1. Cy Twombly est un artiste et, comme tout auteur, il n’est pas le dépositaire de son œuvre ; il n’est donc pas tenu d’être le dépositaire des dépositaires de son œuvre ; ni même le dépositaire des dépositions sur son œuvre.
2. Le geste, s’il est surprenant et pour être marginal, n’en est pas moins absolument pas criminel – auquel cas il faudrait préjuger de ce qui a été altéré soit dans l’œuvre, soit dans l’artiste, et de quel préjudice il est question soit au regard du droit civil (?), soit au regard du droit pénal.
3. Cy Twombly est un artiste qui crée de la série, qui de plus est ingénu : je ne me permettrai pas de rappeler aux personnes offusquées le texte de Roland Barthes, tiré de L’obvie et l’obtus. Mais il me semble qu’il y a un fort décalage entre ce qu’il y est dit de l’œuvre, au moment où cela est écrit, et où l’œuvre est « produite », et ce soi-disant crime.
Mais plus généralement le geste de la personne incriminée peut paraître louche, il n’en est pas moins touchant, et vif, vivifiant, quand toute politique culturelle, interrogez les artistes eux-mêmes, et spécialement le musée, est un lieu de perdition. Le musée c’est la mort. Je n’ai rien contre les musées, mais l’on peut se garder de prétendre sauver un auteur quand le seul enjeu est la conservation de la diffusion, ce qui est fort différent. On voit d’ailleurs dans la lettre le glissement depuis la « générosité » des artistes et de « ceux qui diffusent leurs œuvres », à la mise en danger de la « diffusion » seule (les artistes ne sont plus concernés) ; et la confusion ensuite avec les « auteurs » de tels actes (vus alors un peu comme des créateurs), « soi-disant artistiques ».
Il y a un côté réactionnaire dans la culture, et spécialement dans la culture de conservation (je suis bien placé pour le savoir !), un côté aussi autoritaire (tiens !) et infantilisant : qui dirait aujourd’hui qu’aller au musée c’est se faire offrir de la « contemplation » (drôle de mot issu du passé) et de la « connaissance » ? Qui parlerait dans ce cas de « vandalisme » ? Qui est le vandale ici ? Qui est le vandale ici ?