(Kaamelott, 458 épisodes, 2005-2009, M6)
Ce texte a été écrit dans l’esprit des deux anthologies Ecrivains en séries, dirigées par Emmanuel Rabu et publiées chez Laure Limongi (LaureLi).

C’est moi l’idiot, le ravi de la crèche. Je n’ai qu’un cœur et ne m’en cache pas. Je n’ai qu’un ami, et qu’un avatar. Je le suis ; partout.
Je suis le Voyant, mais ce que je vois — ce dont je rêve, je ne le comprends pas. Je n’ai pas votre langage. Je ne m’exprime pas. Je me tais.
Je suis le fils inconnu, le parchemin d’étoiles. J’ai dans les yeux un courage qui me dépasse, dont je n’ai pas demandé la charge. Je suis le dos trop lourd, et je préfère picoler et bouffer et chanter avec mon ami dans les tavernes indignes de ma condition, et taquiner la gueuse.
Je n’ai pas de visage, parce que je réside dans le corps d’un autre, d’un autre que moi, plus pur, plus solide, plus vaillant. Je suis faible et je vois. Je suis le taiseux, l’inconsolé.
Je m’amuse de tant d’aptitudes fourbues, de tant d’attributs, et m’en réjouis, et m’en moque à gorge déployée, je provoque le rire, je suis le Rire.
Je suis le Rire parce que je suis l’inconsolé, et ma mer d’Italie est lointaine et d’ailleurs je ne suis pas de là-bas, pas plus que d’Aquitaine, de Galle ou d’ailleurs — quoique j’embrasse l’ensemble.
Je suis Logres. Je le suis partout. La caverne, le tombeau. Le seuil, le poète.
Je suis l’élu. Je suis le messie, c’est-à-moi que revient d’en finir. Je suis le finissant, moi qui n’ai aucune origine. Mes parents ne le sont pas. Deux ahuris bavards, et perdus. Enfant trouvé, sauvage.
Je me rends au lac, oui celui-là même. Le lac de la Dame du Lac (les cris de la Fée !) Je me dis que là quelque chose pourrait se produire. Et je prends conscience du tout dans lequel nous errons, lui et moi (les soupirs de la Sainte !).
Le caillou, le fil de pêche, la canne, les poissons, le lac : c’est entier, vous comprenez ? C’est un tout, et nous que faisons-nous pour y participer ?
Je participe, je suis volontaire. Je traverse les portes magiques. Je quitte ce plan d’immanence. Par deux fois, j’ai traversé les limites de notre monde. J’ai accès à une partition dont vous n’avez pas idée. Je sais toutes les pierres du château.
Vous ne comprenez pas mon jeu ni mon rire. Vous ne comprenez pas mes chiffres. Et vous ne savez rien de moi.
Je suis le nice, le benêt. L’enfant trouvé, le bégayant. Le balbutiant. L’idiot, l’enfant. Celui qui sait, celui qui voit, celui qui ne parle pas.
Ma destinée est importante, car j’ai accès aux chiffres. Je suis solitaire et ma route est parsemée d’embûches, mais je ne suis pas dans ce monde. On m’appelle aussi le Vieux, ou encore Ὀρφεύς, 孫悟空, et même Myrddin Wyllt, デューク フリード, Kal-El, et tant d’autres noms : ma généalogie est tellement perturbée.
Je suis une constellation (de noms). Tous ces mots me dépassent. Il ne peuvent tenir ensemble en un seul corps. Tout ce qui m’est familier excède la réalité, et je ne tiens dans aucune lieu, aucun cadre, aucun inventaire, aucun carnet, aucun livre, aucun écran. Je renverse les murailles, je pulvérise le réel. C’est-à-dire : je lui donne sens. Je suis l’accroc autour duquel le monde est construit. Je suis la seule solution possible. Je suis la seule opération possible. Je suis l’issue, le dénouement.
Je suis en creux, et sur ce creux, tu verras, tu construiras ton église.
sais pas si je construirai – je reste en arrêt, en plaisir