Voici l’échange mensuel des Vases communicants, et carte blanche ce mois-ci à Anne Savelli, que je remercie de sa patience. Celle-ci accueille chez elle, et en réponse, un texte intitulé Espaces limites.
Cet été, durant les quinze premiers jours du mois d’août, j’ai demandé, sur Twitter, à ceux qui le souhaitaient de m’envoyer des cartes postales. J’en ai reçu cinquante-sept (je les compte à nouveau en écrivant cette phrase) (cinquante-sept, oui).
La dernière en date a été postée par celui qui m’invite aujourd’hui sur ce blog. La voici.
Mais il serait plus juste de la replacer en contexte.
La revoici.
Sur la table de ma cuisine, avant que le monde bouge, les cinquante-sept.
Quelques-unes forment des séries. Ainsi les Basquiat de Pierre Ménard
ou les recettes de Franck Queyraud
(ce qu’il faudrait, maintenant, c’est que je les suive)
D’autres sont accompagnées d’enveloppes à beaux timbres.
Je les regarde, tandis que le bus 26, une ambulance, un camion à l’oreille passent. Ne sais pas encore où elles m’entraînent.
(ici Montreuil ici Londres ici ailleurs le plus loin possible)
Elles me disent parfois des choses complexes et moi je ne retiens que des choses simples.
Des années sans doute que nous n’attendons plus devant nos boîtes à lettres, dans les halls d’entrée, grilles jardin portail SVP pas de publicité. Que nous ignorons l’heure de la distribution, la silhouette du facteur, son visage, sa voix, s’il glisse dans les boîtes voisines autre chose que nos loyers et relances. Que prendre la clef, faire grincer les gonds ne font plus rien battre, ni veines ni tempes. Qu’on ne défaille plus, n’a plus la gorge sèche, ne remonte plus sans oser décacheter la lettre.
Tant mieux.
Attendre le refus après l’envoi en bonne et due forme d’un CV et sa lettre MANUSCRITE (refuser un jour toute lettre MANUSCRITE, refuser la graphologie comme danse de la pluie devant les candidats) ; attendre le refus après l’envoi d’un texte à un éditeur (les lettres type dessinent nos places impossibles) : c’est fini, c’est mort comme appeler le 12 pour un renseignement.
(une décision) (tout cela pourrait se reproduire, bien sûr) (se reproduira peut-être) (choix de ne pas attendre, en tout cas)
Tant mieux. Mais encore ?
Réinjecter un jour un peu de boîte aux lettres à Paris au mois d’août. Demander à des gens qu’on connaît et qu’on ne connaît pas d’envoyer une carte, sans nulle autre contrainte que ces dates : entre le 1er et le 15. Restituer une place à l’attente, la belle, celle du feuilleton, de l’à suivre, pas ces nerfs en pelote, l’esprit occupé à mâcher son rien.
Attendre devant la boîte aux lettres.
Mais une carte ça ne s’attend pas, fait remarquer mon hôte.
Si : par Twitter, c’est nouveau, une carte s’attend. Parfois poème, venue de l’arrondissement d’à côté, elle ne dit rien ou presque des vacances de l’expéditeur. Celui-ci, par contre, informe en direct du jour de l’envoi, s’inquiète de la réception.
Feuilleton, puzzle, cette carte postale il est encore possible de la nommer : proposition d’écriture (réponse par mail souhaitée) ; série de quinze numérotée ; oloé (prévoir mobilier) ; description mouvement forme parfum appel ; élan poussée citation explication de carte (pourquoi et comment celle-là, et pourquoi pas une autre) ; fenêtre ; tableau ; saut dans le temps ; détour contour prisme.
On a créé de l’attente alors l’impulser mieux, plus loin, la faire résonner plus fortement encore. Que le très grand nombre cerne le vide, l’exhausse, le jette à terre.
Et puis silence.
Jusqu’à ce qu’il soit possible d’écrire et de répondre.
Pendant que j’écrivais apparut la cinquante-huitième…
© Anne Savelli – 2011
Les autres « vases » sont répertoriés sur ce site grâce à Brigitte Célerier.
bonne idée alors… chantier jusque 58, c’est chouette (où va le 58 déjà ?) (châtelet/ Vanves) mais n’importe on devrait pouvoir en poster encore… (a-t-on -un peu- la même appréhension, nous, en ouvrant nos boîtes mail ?) (mon facteur porte des lunettes) (et en août, c’est une factrice) (blackette)
récit qui se renouvelle, se perfectionne, change
Merci beaucoup, Brigitte.
Au fait, si vous avez cliqué sur les photos, vous avez dû voir que l’une de vos cartes d’Avignon servait à mettre les points sur les i ;-)