Mise à jour 2012. Comme on s’en rend compte, nous sommes ici sur la partie “blogue” d’un site plus vaste ; on pourra donc en conclure caduc le propos qui suit. Ou pas : certaines choses restent pertinentes, d’autres bien sûr ont profondément et rapidement évolué. Et moi-même, et mon attention avec. On pourra dire aussi que, pour quelqu’un qui récuse la petite boutique familiale, c’est un double échec ou au moins un double revirement. Sauf à considérer le blogue comme un journal à voix haute, ou même un rassemblement de textes ; ce n’est pas précisément ce qu’on appelle un skyblog ici. Ou ailleurs : c’est-à-dire partout à présent que le blogue est la forme surdominante de l’écriture sur internet, avec Facebook et Twitter, notamment. (Après une seconde partie, à nouveau ces questions dans Du matériel comme programme).
Lorsque se pose la question d’internet et du web comme média ou comme support (par exemple littéraire), inlassablement pour moi revient la question de l’espace, espace où l’entendent ou l’ont entendu Barthes (texte-tissu), Deleuze et Guattari (rhizome), Butor (itérologie), Perec (espace), etc. Auxquels on pourrait ajouter une fois encore l’espace littéraire (Blanchot) et l’espace du dedans (Michaux).
Mais ayant rappelé cela, on n’aura rien dit de bien nouveau. Ce sont des classiques et ce sont des vieilleries, face à internet.
Etrange position que de se référer à des textes qui désignent sans le savoir internet, qui se passe au demeurant fort bien d’eux.
Mais le sujet est complexe, est quotidiennement actualisé.
Je prends le cas d’ AMBO(i)LATI. A-t-il fallu attendre huit années dans le noir quasi-total pour considérer toutes les possibilités qu’offrait le réseau ? A-t-il fallu attendre le CSS, le Php et les flux RSS pour en jouir ? Faut-il encore revenir sur le blogue ?
Je pose plusieurs remarques, sans ordre réellement, sans non plus de degré de pertinence.
1. le lien, l’hyperlien Des pages sont liées, au-delà de la continuité d’un livre. C’est un apport suffisant, un potentiel fantastique. Qu’en fait-on ? Des pages de liens, parfois un peu mieux. Je me rappelle, il y a longtemps, un texte sur le cybertexte de Jean-Pierre Balpe. J’en nourrissais beaucoup d’espoir (si j’ose dire). Bien ; presque dix années sont passées et jusqu’au vertige un peu fourbe du « web 2.0 », et les expériences concrètes d’art numérique sont toujours peu nombreuses et confidentielles, et de plus, de surcroît, noyées sous les milliers de « blogues qui ont envahi la toile. Pourtant, l’occasion ne manque pas de créer une espèce de texte, réellement palimpseste, avec strates, souterrains, oubliettes et impasses, c’était le projet de mon tout premier texte numérique, avant même le web, un ensemble de textes reliés entre eux par des hyperliens bleus (Word permettait déjà cela). On n’a pas trouvé peut-être la forme adéquate (tout se réduisant à un écran, et chacun se dépêtrant avec les multiples systèmes d’exploitation). Ni le fond : quel genre de texte serait le mieux adapté à cela (sinon ce genre de chantiers, de tumulte) ? Pourtant aujourd’hui les fournisseurs divers s’échinent à uniformiser au moins les supports techniques (cf. xhtml, xml et cie), avec le risque, pour celui qui ne serait qu’en surface, d’une banalisation des sites. Mais peut-on demandait à un écrivain d’être aussi imprimeur ? A un luthier d’être musicien ? La question de pose. Vraiment. Quoi qu’il en soit, ce qu’on remarque, c’est un désintérêt profond de la part des écrivains, des artistes, parfois, hélas, des intellectuels et universitaires, souvent, aussi, pour le net, à moins qu’il ne soit qu’une courroie de transmission entre la vrai vie et les publics, potentiellement clients. A l’origine du web, le commerce. Les sites, jusqu’aux blogues, forums et chats, étaient fondamentalement commerciaux. Ils le sont encore, me direz-vous, mais là où plusieurs artistes prennent la toile, ce n’est souvent pas comme un nouveau support ou creuset ou chantier ou tumulte, mais plutôt comme un benoît média, un de plus, une autre manière de faire vitrine.
2. le CSS Les moyens ne manquent pourtant pas, donc. Et devant l’explosion des sites durant les années 90, plusieurs « personnes » se sont regroupées pour créer un organe de maintenance et de « recommandation » sur les protocoles et langages du net, le W3C. On croit rêver. Du moins je croyais rêver. Une espèce de Grevisse technique à destination des webmestres, lesquels commettaient, paraît-il un grand nombre d’erreurs difficilement interprétables par les machines. Cela gênait singulièrement la circulation des informations. Il y a là un nœud du problème. En effet, le laisser-faire inhérente au net, la relative simplicité des langages informatiques de type html, permettait à quiconque, sans grande difficulté, de se créer un petit jeu de pages, sans grand dynamisme, certes, mais qui pouvait opérer. Quant à la forme on se rabattait sur la possibilité d’insérer du son, de l’image (on a tous eu recours à Photoshop), voire de l’image en mouvement (et on a tous lorgné vers Flash, sans vraiment arriver à s’en servir). Je me rappelle une époque toute proche où Flash était relativement plus à la mode qu’aujourd’hui. Il faut dire qu’on n’avait pas de haut débit, ce qui grevait terriblement l’usage des vidéos et des sons, mais aussi les architectures trop complexes, comme les recours aux bases de données (genre cgi, asp et même Php). All music était d’une lourdeur incroyable.
Or la naissance de nombreux sites personnels étaient soit hébergés par des fournisseurs gratuits, genre Free, et il fallait connaître un chouïa de html (ou bien recourir au logiciels qui faisaient du html à partir de texte, comme FrontPage de Microsoft, pour ne citer que le plus courant, et pas le meilleur), soit, c’est le cas ici, on pouvait créer des sites au squelette prédéterminé, genre Dromadaire. Cette deuxième solution, plus accessible, démontra vite ses faiblesses : tous les sites se ressemblaient et nous n’avions aucune créativité architecturale. On se mit donc, pour la plupart, au html. On a fait des architectures à base de tableaux, ce qui fut rapidement proscrit par le WC3 (comme je l’appelais), qui préconisa de bien distinguer d’une part le contenu du site (ce qu’on met dans l’html) de sa forme (qui devint le CSS – entre autres). C’est l’épine du problème : en effet, si un écrivain n’est pas typographe ou imprimeur, c’est que ce n’est pas son métier. Il doit en revanche, s’il souhaite se faire entendre, user correctement de la langue qu’il pratique. Il peut certes jouer le matérialisme ou l’abstraction, genre Michaux ou Artaud, mais il ne peut pas éviter l’aspect technique de la langue : canal, air, etc. Ainsi sur la toile : vous pouvez ne pas croire au WC3, si vous écrivez n’importe quoi, votre site ne sera pas vu, lu, n’apparaîtra même pas à l’écran. Alors où se situe la technique, la création ; à l’orée de quel monde ? Le long de quelle frontière ?
Nous nous sommes donc soumis au WC3, pour de simples raisons techniques, mais la question là posée alors est fondamentale. Je cite François Bon .
Mais qui pourrait prétendre, pour Internet comme pour le livre graphique, que la présentation et la mise en page sont indépendants du contenu ?
Je ne saurais répondre complètement.
3. Les blogues Le CSS était déjà une préfiguration du web 2.0, terme qui ne signifie à peu près rien. De nouveaux moyens techniques libérèrent les nouveaux arrivants du net, propulsés par l’adsl post-bulle internet. Et ce fut le moment des blogues, moment qui dure encore et ne semble pouvoir se tarir. Il y a deux ans, mon propriétaire me demande, après que je lui dis avoir un site sur internet : c’est votre blogue ? Bien sûr que non, ce ne peut pas être un blogue ; pour deux raisons : 1. je ne sais pas ce qu’est un blogue ; 2. je n’aime pas les blogues. Je ne reviendrai pas sur le 2., puisque j’en parle assez ailleurs. Pour le point numéro 1, je dirais ceci. Quand je déclare ne pas savoir ce qu’est un blogue, c’est que je trouve singulier de différencier, subitement, dans l’esprit des gens, les blogues des autres sites. Or, si l’on observe les blogues, on se rend compte qu’ils ont tous quelque chose en commun (ou quasi) : leurs auteurs ne s’occupent pratiquement pas de la mise en forme, je veux dire, des codes sources de leurs pages. L’architecture leur est fournie par un « hébergeur », et ils doivent s’en contenter. Si bien que, malgré tout, tous les blogues se ressemblent, ce qui est fort dommageable : 1°. Cela les retire de la création internet, et cela réduit à nouveau la toile à un média, et 2°. Cela s’exclue littéralement de la scène littéraire, puisque cela n’a pour objectif qu’une écriture quotidienne, disons, dans l’actualité (je provoque aussi : il y a bien sûr de bons blogues).
Mais mon propos est ambigu, et je le sens bien. Les blogues correspondent à cette soi-disant liberté acquise dans la technologie, comme les bagnoles, les téléphones cellulaires, les baladeurs mp3. Qu’en est-il ? Des milliers de pages, d’une grande affligeance, pour ne pas dire affliction, dont l’objet est simplement le souci de soi. Il n’y a pas de lien avec d’autres sites (sinon d’autres blogues). Et surtout, on a recours à une architecture monomaniaque : un bandeau, un pied de page, entre les deux, trois colonnes : calendrier, nouveautés, etc. J’y reviendrai plus tard, mais ceci démontre que la plupart des sites, dont les blogues, n’ont que faire du « cambouis » informatique ; que d’autre part, avec l’adsl, la facilité et la quasi-gratuité d’internet, on se précipite, sans contrainte, vers des schémas imposés par ailleurs (et on s’en contente) ; ces schémas de plus miment le journal, c’est-à-dire le format journalistique, avec rubriques, articles, brèves, comme si l’auteur d’un blogue était surtout un explorateur du réel et du moment, un décrypteur, et le texte un simple ramassis de nouveautés ou d’actualités (en ces deux aspects horriblement lointains de ce que j’envisage comme littérature) ; on revient dix ans en arrière. Le temps viendra peut-être du blogue dynamique, et ce sera peut-être le « web 3.0″… En attendant, les grandes ressources du « 2 » sont sous-utilisées et chacun patiente, son blogue à la main, sans chercher à détourner le formidable outil.
4. le RSS Autre invention du Web 2.0, le RSS, la syndication. Si on croit ainsi faire de la politique, on se trompe, puisqu’au moment où les syndicats, nous dit-on, volent en éclats, la syndication sur internet marche du tonnerre. Mais c’est un peu la rançon du succès : il y a tellement de blogues, notamment, et les blogues envahissent tous les sites internet, du moins leur déprimante structure : quotidienneté, opposition rubrique/article, conteneurs identiques, et puis nous nous soumettons bêtement au potentat de l’actualité, qu’il faut bien encourager les visiteurs à revenir, c’est-à-dire, à leur faire croire qu’il y a du nouveau sur le site : il est actualisé. Le fil xml (RSS) permet donc d’afficher sur votre site ou sur un site généraliste, toutes les nouveautés des sites que vous avez choisi de « syndiquer ». En ce cas, on accède directement sur la page nouvelle, ou actualisée, et on ne se préoccupe plus ni des bas-fonds du site, ni de ses archives. Il n’y a qu’un présent perpétuel, lequel, soit dit en passant, se moque lui aussi de l’esthétique, des ressorts internet habituels, les liens hasardeux du flâneur ou les chemins obligatoires choisi par le créateur du site.
5. le Php Dernier point de cette première partie fort technique, l’usage du Php. Le Php est un langage informatique plus complexe que le html. Il nécessite de plus grandes connaissances et aussi un accès total, si possible, à la gestion du site, notamment par la création et la gestion de bases de données (habituellement MySql). Pour aller vite et joindre ce qui nous importe ici en priorité, disons que Php permet de dynamiser un site web ; il est particulièrement efficace pour la gestion des « Blogues », justement, des « Forums de discussions », des « Wiki » et des « CMS ». Les wikis étant des sites ou parties de site qui permettent aux utilisateurs ou visiteurs de modifier depuis leur poste les pages et de les publier directement. Ce système est une véritable révolution, il est malheureusement restreint à des applications spécifiques (comme Wikipédia), et rarement utilisé comme ressource artistique. Les CMS sont les Systèmes de Gestion de Contenu, c’est-à-dire précisément, les structures complètes de sites alimentés par l’auteur sans mettre les mains dans le cambouis, sous formes de rubriques/articles/brèves, etc. Si l’auteur peut inclure son propre html, il laisse en revanche tout le côté technique au logiciel, ou presque tout ; l’auteur moins versé dans l’informatique sera moins libre, quant au spécialiste il pourra adapter son architecture à son propos. Un exemple de CMS est Spip, logiciel libre qui est très utilisé dans le milieu associatif, qui gère essentiellement des sites non-littéraires et, justement, à actualisation récurrente ; Spip peut aussi être utilisé pour un blogue ; plus rarement, il peut l’être par un écrivain, comme c’est le cas pour le Tiers Livre de François Bon, qui en a fait une architecture personnelle et non calquée sur les sites habituels conçus avec Spip.
Je terminerais simplement par une question, que chaque jour je me pose : à quoi me sert le Php sur AMBO(i)LATI, et comment peut m’aider Spip ? Je suis profondément désolé, et cela doit être lié à ma grande méconnaissance du Php, et des scripts en général, mais je ne vois pas en quoi mon site serait plus dynamique avec que sans. Trois raisons à cela : 1. Il est très peu actualisable ; 2. Il n’est pas un blogue ; 3. Il ne permet pas l’écriture par les visiteurs ; 4. Il est tout petit. Lorsque j’installe Spip (je l’ai déjà fait deux fois, deux fois je l’ai effacé), je me retrouve avec une structure imposée qui me déplaît, non seulement physiquement mais aussi logiquement (les rubriques, articles, etc.) ; je dois orienter tout mon contenu par rapport à Spip (sinon quel intérêt d’avoir ces articles ?) ; surtout, je ne peux pas être libre comme je le suis lorsque, patiemment, je crée mes boucles Php pour une nouvelle version du site, dont le seul intérêt pour moi est la dissociation de la structure avec le texte. Donc je le reconnais, je touche au Php, mais je souhaite en saisir les ressorts et les possibilités, en parfaite adéquation avec le CSS (qui est quand même fichtrement efficace), et, solitaire, je ne me résous toujours pas à avoir un blogue, à être actualisable, à suivre toute « actualité » (ce qui n’exclue pas l’usage de la modernité).
Par contre, je n’ai pas terminé sur le chantier, mais réaliser un jeu de liens entre thèmes (rubriques ?) de ces textes écrit pendant une année, plutôt sous forme de carnet que de journal intime ou non, ou entre chacun de ces textes (articles ?), avec rétroliens, tags et compagnie, pourquoi pas ? La seule chose à faire : se mettre dans les protocoles et les langages, les décortiquer, ne pas nous laisser imposer un Web 3.0 poussif et monolithique, – quoique rapide et clinquant. Vive l’internet libre ! A ce propos, je n’ai pas évoqué le P2P (« Peer to peer » ou « Poste à poste », voire « Pair à pair »), ni le site Candidats de l’April, ni celui de l’EUCD. Mais vous aviez compris que c’est par manque de temps…
A SUIVRE…
Dans Cyber-Liber 2 :
6. De l’espace des sites ;
7. De la littérature ;
8. Du roman ;
9. De l’autofiction ;
10. De l’autobiographie ;