Avec la mise en ligne du dernier morceau sans doute de l’ensemble, Le Maître et Marguerite, réécriture de la Belle et la Bête réalisée dans l’automne en improvisation avec ma fille Lou Vincent, je m’autorise la publication de l’ensemble sur la plate-forme (ma foi très pratique) Bandcamp.
Cet ensemble, intitulé иoises (et plusieurs applications ne veulent pas de l’initiale) est relativement hétérogène, et pourtant c’est toujours la même patte qui est ici malaxée, le même matériau travaillé, une espèce de condensé morcelé de sons. Un idiome brisé. Littéralement une forme talée de la musique, née des circonstances (et le plus souvent de l’improvisation) ainsi que de moyens très réduits (jamais ou presque de micro, jamais ou presque de jeu de corde complet, etc.)
C’est comme si le son parvenait au travers d’une membrane, et cette membrane est confuse, abîmée ; c’est comme s’il s’agissait d’une langue dont une partie du vocabulaire est plus défectueux que défectif. C’est comme un visage de lune, qui serait un souvenir de visage, un éclairage de visage, mais où manquerait ce qui constitue le visage.
Pour le moment présent, je ne me suis pas occupé de l’habillage (justement) et j’ai proposé cette image de Steve Ditko pour le comics Docteur Strange, personnage bien connu de tous, parce que Steve Ditko possède (à l’instar de John Byrne, mais d’une autre manière, d’une manière plus sombre, ou plus inquiète) un imaginaire très exotique, très exocentrique, si on peut dire. Qui colle bien à ce projet — qui n’en est pas réellement un.
Il faut du temps, je tenais à le souligner, il faut du temps pour réaliser ces morceaux. Depuis que je prétends composer des musiques ou des chansons (une dizaine d’année), j’ai atteint une espèce de rythme qui me semble de croisière : une à deux chansons par an, c’est bien suffisant…
Ainsi les enregistrements s’étalent ici de 2006 à 2012, et ça me semble être assez cohérent. Un titre est plus ancien, daté de 2002, mais probablement plus ancien encore, je ne sais plus. Je tenais à l’y laisser, car il ne pouvait coller à Bis Repetita (duo dans lequel sont rassemblées les chansons de facture plus classique et audible). Les autres sont un peu comme le devenir d’une saison, ou le concentré d’un moment. Ils s’articulent rarement autour d’un noyau musical (tonique ou thématique), ou d’un sample, ou même d’une idée particulière. Ils viennent comme cela, et il y a toujours sous la main un ressort technique pour les surprendre. Ce sont comme de petits pièges pour un moment, une intensité, une étendue (un paysage) sonore approximative.
Ces traces sont bien sûr à considérer comme des « démos », mais leur naïveté, leurs cabossages, leurs malformations, leur sont pourtant inhérentes et j’ai beaucoup de mal (un peu comme les textes) à reprendre ce qui est à un moment donné figé dans un état, qui est un état figé du moment, état qui par conséquent devient définitif.
On pardonnera donc les éclats, les voix approximatives, les rythmes brisés, les égratignures ; c’est à peu près aussi tout ce qu’il est possible de tirer de cette carcasse.