Remise à plat de la section “Cartes postales” de GEnove. : piochant dans les 333 cartes postales que j’ai trouvée dans une espèce de vide-grenier, en épluchant toutes les écritures et en sélectionnant ce qui se rapportait à la ville, et un peu plus, à la manière du grand En avant marge de Pierre Ménard, j’ai composé des poèmes “invertis”, 9 poèmes de 9 vers. Je les livre ici pour le plaisir.
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1. comme la ville s’ouvrait soudain
2. sous mes yeux je fus pris d’un grand
3. vertige, et j’ai compris, plus tard
4. bien plus tard • un temps — infini, qu’elle serait
5. le lieu même de mon destin, la ligne
6. la ligne de partage des eaux
7. & lorsque j’ai gravi ses marches, enfreint
8. d’angoisse, je vis mes pieds peu à peu
9. faire corps avec elle
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1. descendre mais pas se perdre, évoluer fluide
2. dans l’un de ces étages nobles tu sais
3. les escaliers tout de marbre et des mosaïques sur
4. les murs grand majestueux royal j’en étais
5. d’anonyme passer comme dans un monde un conte
6. comme les tâches étaient complexes
7. passer de l’un à l’autre du reste c’était
8. la tâche principale, la seule occupation
9. apprendre à marcher, apprendre à se tenir droit
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1. tu le savais pourtant qu’on cheminait
2. à pic sur le vide c’était le vertical, excitant
3. le Sud, j’allais pouvoir exister vivre jouir sans
4. de vieilles chansons en tête ritournelles mythes
5. sans recommandation, tel bureau tel étage
6. je savais au fond qu’on viendrait me chercher
7. qu’on allait lâcher un peu nos habitudes
8. qu’on allait faire de moi quelqu’un, nous
9. nous résoudre à grandir, à épauler
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1. je ne tiens pas en place, je suis absolument
2. dévorée par mon ventre, mon corps
3. n’est pas une blessure mais crie, n’est pas
4. une douleur mais comme un goule assoiffé
5. de sang je voudrai tant me mettre
6. à découvert à table face à face
7. sur un étal où des poulpes, des seiches, quelques cigales
8. putain c’est bon le soleil te lave tu crois être
9. sans un sou, la sérénité, le plaisir, l’extase, la grâce
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1. dans le carré de soie, comme maison sertie
2. venir offrir rendre grâce ô j’ai aimé
3. tes bras comme une digue, comme un barrage
4. formant un corps démembré obscur fait
5. de sang • d’eau
6. donnée la lumière sur le corps déformé
7. la gaze légère invisible de tes cuisses
8. j’ai aimé te prendre et piller incendier violer
9. comme ville maculée dans le carré de soie
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1. je ne sais pas où on court tous ensemble comme
2. ça des rats dératés dératisation en cours
3. quand le feu quand, quand noués de coup,
4. j’ai couru désespérément après chaque goutte
5. d’eau, qui ne désaltère pas
6. parce que la poudre ici recouvre tout
7. les choses les voitures les immeubles et notre
8. désir peut-être violence peut-être la poudre
9. a mis le feu à la ville je ne sais pas où
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1. tu le savais pourtant qu’on venait
2. ici — ça a tellement changé, on a renversé les
3. dimensions, comme si jusque là je ne voulais
4. pas voir, pas recevoir, pas apercevoir
5. comme un écran pas éteint mais sans signal tu sais
6. le scintillant, le chamarré, le neigeux, le velouté
7. le Nord, c’était pour toi un désir un rituel même
8. c’était l’horizontal l’effrayant, tout ce venir
9. possible, tout ce qui pouvait déboucher de nulle part
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1. la lessive, le détergent n’a pas terminé
2. son travail vers 5:00 et les rues pleines
3. de visages de visages de visages et de vies
4. tout ce cirque entre Principe et Brignole
5. elle avait dit ma mère qu’il ne fallait
6. embrasser le labyrinthe c’est surtout
7. du temps perdu pour qui va et vient comme moi
8. pas subir carrière, famille, maison mais
9. j’aurais dû inventer, au choix, à volonté
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1. je suis sur le point de partir, et tu le sais
2. le courant alternatif nous a porté de-ci, de-là,
3. comme des plumes dans le vent comme
4. des bois flottés comme je ne sais quoi comme
5. je ne sais pas si j’ai cru à la dérive
6. je ne sais pas si je l’ai prise
7. pour une île, pour une gare, pour une maison
8. je réalise que je ne t’ai jamais dit
9. mon nom