Je pose le disque de l’Idiot sur la platine. Ou bien un Charles Mingus.
Je roule une cigarette de tabac pur.
Je ferme toutes les lumières sauf une. Mais loin, dans un coin, derrière. Comme une voiture qui gravit une colline mais juste au début, là où les phares pourtant puissants éclairent en vain la nuit – qui ne se laisse pas prendre.
Ce peut aussi bien être une pointe d’encens. (Comme nos maisons sont pleines d’armes.)
Une guitare a toujours voulu crier plus fort.
Qu’un saxophone aussi. Salope.
Une page d’écriture qui passe sur les sillons de vinyle. Qui fait ça encore ? La différence du son entre les disques noirs et les disques d’argent est flagrante. Certes, mais il faut tenir compte des amplificateurs et des baffles de l’époque. On avait l’impression d’un son chaud, c’était simplement un son de carton, du carton dont on faisait encore notre adolescence ou notre fin d’enfance (moi je me rappelle Dark side of the moon, j’étais en Cinquième). Avec les disques d’argent, on avait grandi. C’est tout. Le son des noirs n’était pas meilleurs ; il était par essence voué à la nostalgie. Don en une espèce d’idéologie renversée. Les disques étaient les Bibles, les mecs dedans des messies. Comme j’ai pu aduler – littéralement – un mec comme Kurt Cobain, et encore j’étais déjà vieilli – déjà l’amour était passé par là pour tout foutre en l’air. Mais ceux qui galvanisaient les foules, pas tant les virtuoses ou les techniciens, ou les clinquants, mais vraiment ceux qui, tel Hitler, portaient un public – genre Bob Geldof dans The wall : Hendrix, oui, mais Country Joe gueulant « Fuck » à Woodstock, Keith qui matraque un jeune qui monte sur scène avec sa guitare encore branchée puis la rechausse et rejoue – stoppant net le larsen, ou telle image de Dylan, de Steppenwolf, de Neil Young (l’avant-scène de la tournée Rust Never Sleeps), ou Janis Joplin, Sly Stone, Prince ou Otis Redding (je parle là des Noirs).
C’était le son des disques noirs, c’était ce que nos oreilles voulaient entendre. Le son n’était pas meilleur, plus chaud. Les disques étaient rayés, il n’y avait aucune basse, c’était sec, comme le sable. Ça manquait d’eau.
C’est peut-être pour ça que les mp3 nous font croire encore jeunes, fébriles à leur recherche, fébrile à leur endroit.