François B o n (Note : les liens sont vides encore pour cause de refonte des anciens textes du Chantier ; ils renvoient à trois textes déjà écrits sur le bonhomme) travaille essentiellement sur la mémoire. Dans tout ce qu’elle induit de marche-pied pour l’à-venir, ainsi que de tout ce qu’elle porte de signes du vivant (c’est-à-dire d’un présent, qui bien que révolu, n’en est pas toujours un ancien présent). Aussi bien lit-on chez lui la passion du numérique parfois matinée d’une confiance excessive dans le matériel (et qui plus est dans le virtuel), ou lisible dans une certaine insistance sur certains aspects techniques (rss/blogue, son Facebook – même si on lit, enfin, que nous resterons des associaux quand même, liseuse Sony…). Mais qu’on s’y laisse pas prendre : c’est une façade, comme tierslivre.net est une façade (n’est-ce pas d’ailleurs sa bannière ?). Utiliser du reste un titre vieux de cinq siècles pour un site appelé littérature et Internet (mais pourquoi ce I majuscule ?), n’est ce pas l’insolence même ?
L’insolence, c’est le télescope, c’est le parapluie de Lautréamont, le mélange des genres… et des âges
Son travail traite de la mémoire :
- dans ses livres/romans
- dans ses ateliers d’écriture, et Tous les mots sont adultes
- dans ces « biographies » de rock’n’roll (et combien de fois le lecteur s’identifie à ce « nous » ou ce « on » dont j’ai parlé par ailleurs, où scrutant le spectacle du rock’n’roll, c’est soi-même qu’on scrute)
- dans sa syntaxe (me rappelle une discussion avec lui où il déclarait tout le mal qu’elle lui avait donné pour certains éditeurs)
- publie.net, où il s’empresse de publier Rimbaud, Mallarmé, Lautréamont et Balzac !)
- jusqu’au tierslivre où l’on trouve un agenda, une biographie presque imaginaire, ou les images archivées des premières apparences du site.
Bon travaille avec le temps, comme une matière première. Non pas une informe malléable dont on dépiaute des morceaux ; mais comme matériau creusé par le mot, rameuté par le mot, ou encore dans lequel le mot creuse des galeries, des raccourcis, de nouvelles passerelles. Il nous fait croire qu’il travaille sur l’espace (écrire la ville, ou la face B du tierslivre) mais ce qui le passionne c’est le passage, la succession, le déplacement. (C’est peut-être ça la catégorie nouvelle, qui mêle temps et espace.) Ce qui le passionne – parfois, j’en suis sûr, jusqu’aux larmes – c’est le vieillissement. Le devenir. Des choses, des êtres, des villes, des habitudes. Le vieillir des livres. Le vieillir de la musique, et comment le corps fait le pont entre celui qu’on était gamin et celui qu’on devient, vers qui trop sûrement on se dirige…
Cherchez qui est « on » ? C’est toujours « je » qui se cache, qui se planque, qui se travestit. Qui se mêle de génération. C’est je quand il prend conscience de la masse qu’il est. Aussi peut-on dire, avec Sébastien Rongier, que François Bon nous ment, car il ne ment pas – et c’est peut-être bien le seul !
Mais là où la nostalgie empègue, Bon développe une autre tactique, celle du rétroviseur. Savoir d’où l’on vient pour pouvoir avancer, où la recherche non d’une vérité mais d’une sincérité (ce qui est fort différent et l’éloigne de toute tentative d’autofiction), de laquelle il souhaite porter témoignage. Car c’est bien là le rôle de l’écrivain selon Bon. Un greffier plus qu’un bâtonnier. Le témoin de la mémoire.