Ce texte a été publié, légèrement remanié, dans Po&sie.
« …l’ouverture mortelle de l’œil… » (Derrida)
les yeux seuls trahissent, tes plus profondes émotions, ton vice caché…
les yeux seuls ne vieillissent pas, ne se rident pas, quoique parfois ils se ferment. ils ne vieillissent pas car ils sont constamment sous-marins. les yeux de mer.
les yeux seuls trahissent, non parce qu’ils voient, éventent le secret, mais parce qu’ils laissent voir. les yeux seuls sont le secret.
quel est le plus beau cadeau qu’il eût été de donner : d’être invisible ? ou d’être aveugle ?
je peux éteindre tout mon corps, même la peau, même la muqueuse, mais les yeux non ; ils vivent d’eux-même, abreuvés du monde qu’ils illuminent.
femmes, femmes dans les yeux qui poignardent en souriant.
femmes, femmes dont les villes en ruines demeurent encombrant la vue.
femmes, femmes dans la nuit s’échappent, hop, retrouvées en rêve, désertées au petit matin quand le tram passe et te réveille ; que la lumière n’est même pas assez de grain pour briser le gris ; le corps qui était là, bien présent quoique dans la nuit, n’est plus.
invisible dans la nuit, mais très concret, le grain neutre du matin, pointillé de quelques cloches qui tintent, et d’un grand secours sans soleil, le grain neutre du matin a effacé le corps.
le lit n’est même pas tiède. les formes n’appuient plus sur les draps.
et voilà le jour sec.
pourquoi avons-nous des paupières ? afin de dissimuler les yeux qui dévoilent tout. les paupières sont nos secrets, comme les pages qui se fanent et qu’on referment chaque soir ; on y a étalé nos mots secrets. si l’œil est une voix qui suit partout, la paupière est le livre.
même enfuie, j’ai tout enregistré. il n’y a aucune justification à demeurer. je préfère clignoter, non, je préfère cligner en m’effaçant.