VoilĂ donc grosso modo comment nous dĂ©butĂąmes. Finalement, je dĂ©barrassai une chaise et vous lâoffris. Vous avez pris ce geste pour un consentement de ma part. Je lâai parfaitement compris mais je nâai rien dit.
Vous, vous ĂȘtes tout de suite entrĂ© en affaires.
La main sur votre portefeuille â dĂ©jĂ Â ! â vous mâavez tout de suite dĂ©clarĂ© que la question dâargent ne serait en aucun cas un obstacle. Pour les voyages que jâaurais Ă faire oĂč quâils pussent me conduire, je les ferais en premiĂšre classe, en sleeping, en avion. Je prendrais toutes les voitures que je voudrais.
Vous alliez sĂ©ance tenante dĂ©poser entre mes mains une « provision » dans laquelle je puiserais Ă mon grĂ© pour tout ce quâexigerait lâenquĂȘte, y compris ce que vous appeliez les « faux frais ». Je pourrais me trouver dans le cas dâavoir Ă racheter certains documents comme par exemple de vieilles lettres, jâaurais Ă donner des pourboires pour faire parler les gens.
â Les gens ne demandent pas mieux que de parler pour rien, mais si on leur glisse la piĂšceâŠ
Je devrais faire parler les amis, anciens et nouveaux, les domestiques, les concierges, les frĂšres et les sĆurs, etc. Vous vouliez tout savoir de ladite personne, ses faits et gestes, ses passions, ses pensĂ©es, ses turpitudes, en un mot ses « antĂ©cĂ©dents ».
Vous vouliez un « rapport ».
Sur le moment, je nâai rien rĂ©pliquĂ©. Mais aujourdâhui, permettez-moi de vous faire observer quâun « rapport » nâest pas une « confession ». Quel abĂźme entre le « je » et le « il » ! Peut-il jamais ĂȘtre comblĂ©Â ?
Câest bon ! Je comprenais fort bien ce que vous vouliez. Il fallait tenir compte des « on-dit » de ce quâon appelle lâopinion, et pourquoi pas des fiches de police sâil en existait. Allait-il me falloir au Palais de justice aller chercher un extrait de son casier judiciaire ? Digne ! Ătait-ce un certificat de bonne vie et mĆurs que vous me demandiez de vous rapporter ?
LâidĂ©e me vint quâil devait sâagir dâune femme abandonnĂ©e, ou dâun enfant. Il arrive que sur le tard le besoin de rĂ©parer occupe certains hommes. Vous sembliez devenu un peu fĂ©brile. Soyons clair : vous Ă©tiez peut-ĂȘtre un vieux criminel impuni et la personne Ă rechercher, qui sait, le fils ou la fille de votre victime ?
Ne sourcillez pas. En bon policier, puisque vous le vouliez jâavais parfaitement le droit et le devoir de me poser aussi cette question.
Je me demande encore aujourdâhui comment je me suis laissĂ© aller Ă vous Ă©couter. Ce nâĂ©tait pas pour cela que jâĂ©tais venu rue Saint-Louis-en-lâIle. Ce nâĂ©tait pas pour me laisser distraire.
Vous, vous parliez toujours de ladite personne rĂ©pĂ©tant quâil vous faudrait des preuves quâelle serait digne de recevoir votre trĂ©sor. Mais sur ce que vous entendiez par « dignité » vous ne disiez rien.
Savez-vous que vous mâavez soudain fait lâeffet dâun drĂŽle de M. Prudhomme ?
Un instant je nâai plus vu en vous que la mĂ©diocritĂ© dâun triste bourgeois qui veut bien donner mais Ă la condition que de ses dons on ne fera pas ce quâil appelle un mauvais usage. Et qui offre de payer plus cher quâil ne vaut le service quâil attend dâun autre. Cette provision, ces honoraires dont je fixerais moi-mĂȘme le montant !
Allons donc ! Si vous vouliez donner il fallait le faire les yeux fermĂ©s et si vous rĂ©clamiez un service il fallait en offrir le juste prix et rien de plus. Excusez cette colĂšre rĂ©trospective. Sur le moment elle faillit tout compromettre. Savez-vous ce qui me ramena ? Je vais vous le dire : la curiositĂ©, le dĂ©sir que jâavais de dĂ©couvrir votre arriĂšre-pensĂ©e.