Ce texte [Acte 1, scène XII], appartient à De par la ville de par le monde, un roman en cours d’écriture, en six actes et soixante-douze scènes, qui traite de la figure d’Auguste dans l’Empire romain et au-delà, sporadiquement mis en ligne ici… et exposé là.
Et comme il songe, il rêve.
Le roi est dans son lit, le sommeil est le moment de l’oblitération des surfaces, de la domestication de soi. La maison n’est pas ouverte aux étrangers, et si elle dispose de portes, comme les oreilles ou les yeux, la bouche ou le trou du cul, vient un moment, un moment de grande difficulté, où il convient de s’assembler et se recroqueviller en soi.
De baisser les voiles, déposer les volets.
Face à soi seul. Et face à ses monstres.
C’est un peu comme une chambre, mystérieuse, électronique, où la mémoire, cryogénisée, épouse des formes dociles et inédites. Les portes coulissantes de papier et de pin glissent dans leurs rainures et viennent hermétiquement embrasser l’espace. C’est une espèce de cylindre ou plutôt de coupole, de papier, de pin, et bientôt aussi, de feutre et de soie, que les glissières déposent doucement, avec ce bruit de vapeur qu’ont les tissus, depuis l’auvent de la cantonnière. Un petit trône sans vue, sans cachet, mimant l’albâtre mais en réalité façonné lui aussi des bois les plus doux, marqueterie café et chocolat d’olivier de Brindes et ébène d’Africa, un labyrinthe crétois ; il fait face à un mur vide. Le masque s’élève, agrippé par deux bras mécaniques de buis, et le visage alors, jusqu’ici dissimulé à la face du monde, le visage meurtri et balafré, blême, difformé, apparaît. Contracté, boursouflé, couvert d’épines ou de pustules, il souffre autant du jour qui le brûle que du masque qui l’en protège, il n’y a pas d’alternative, sauf peut-être le sommeil.
Certains monarques d’Asie croulèrent sous le poids de leur couronne, de leur diadème.
Les officiers, les serviteurs, les servantes, les corps se sont éclipsés. Adieu l’étendue, vienne l’âme.
Le sommeil n’est pas long à venir, si sommeil est le mot qui convient pour une méditation qui ressortit plus de la chirurgie que de l’abandon.
Et avec lui les fantômes. Le père des rois en premier, à l’œil satisfait mais la moue réprobatrice, que veut-il. Le roi qui dort reconnaît en lui son propre père Théodose l’Ancien, mais qu’il sait être en réalité Romulus lui-même (Diodore).
Un cheval richement harnaché, que le roi sait être Jules César, apparaît alors, fougueux et décidé, lui-même également satisfait, bien que son heaume empêche de bien discerner son visage, qui le pointe d’un glaive qui s’avère, alors que l’instant dure une éternité (devenir) un rudium (Lucain).
Le corps est, par la conformation du siège, entre la position assise et la position couchée ; il est un irrésistible nid de baguettes de bois, rembourrées de plumes ou de poils d’hermines et autruches blanches, lavées et purifiées, cardées, tissées pour former une assise aussi solide que soyeuse, un molleton épais. Un système de petites poulies et de petits leviers, insérés dans la structure de roseaux, permet d’orienter les axes et les angles, d’incliner le col ou le pied, l’ensemble ou ses parties, et les accoudoirs, recouverts aussi de pourpre. Des encens indiens peuvent être produits sur commande digitale, mais aussi des musiques jouées en direct par des esclaves thraces, et l’amour du confort s’est marié au génie technique afin de pouvoir réguler la température globale avec trois systèmes d’aération, activés par équilibre des pressions (une première dans l’histoire du piston), depuis les trois chambres des thermes publics, relayés dans le parcours urbain par d’autres petits thermes fermés, aveugles, enfouis.
Entre alors en scène un autre fils de roi, qui ressemble au boucher de Salerne Lucilius, mais que le roi sait être Hadrien, qui approuve, toujours en silence, en montrant un tas de caillou à ses pieds, que par un prodige apparemment il organise en marchant. Il pose un genou à terre, et recueille dans le creux de sa main un peu de sable superficiel. Soudain il le fiche aux yeux de quatre de ses suivants qui portent leurs mains au visage, s’affaissent et disparaissent en poussière (Hist.Aug).
Entre alors un autre fils de roi, qui ressemble à Tante Jugurtha mais que le roi sait être Dioclétien, il apparaît derrière le mur, mais demeure caché derrière un voile ; il impose au roi la génuflexion et le baiser et sans toujours prononcer une parole, résonne en la qualité même de l’air le mot DOMINE ! DOMINE ! DOMINE ! (Ammien Marcellin)
Par un système assez inédit de vérins, le corps dans le siège est en mesure de se mouvoir, du moins de se retourner sans effort, des languettes accompagnent le mouvement, tandis que des poids reliés à des balances permettent de maintenir l’équilibre. Lorsqu’il s’agite, comme parfois cela arrive, et comme cela arrive maintenant, c’est dans le cocon de la sustentation, sans risque de chute, de choc, ou de contusion.
Entre alors un autre fils de roi, qui ressemble fichtrement à l’iconographie du fils de Dieu, le Juif répudié Jésus-Christ, mais que le roi sait être Constantin Ier, et celui-ci lui tend la main et le roi ne parvient pas à la saisir, alors qu’il est évident dans le songe qu’il faut l’attraper sous peine de mort, alors le roi prend un bâton qui était là, et le roi s’en saisit, et les deux rois sont maintenant liés par le bâton, mais comme le danger s’efface (les songes…) et que Constantin disparaît, le bâton crochu, en forme oui de croix, se transforme en serpent et le roi doit le lâcher. Le regard de Constantin devient noir et Théodose sait qu’il doit implorer son pardon. Comme le visage du premier devient immense, et la couronne et son diadème se muent respectivement en némès surmonté de l’uraeus, mais alors que le roi fait le rapprochement dans l’ordre d’une logique méconnue, entre le bâton serpent et le cobra sur la coiffe, la tête du pharaon est toujours plus grande et par un effet de lumière et de dimensions, il apparaît finalement qu’elle n’est que surface, un habile mécanisme de mat, de drisses et de voilures, que le vent subit, jailli d’une montagne comme d’un volcan, finalement emporte, loin, loin dans le ciel, pour ne devenir qu’un point, infinitésimal dans le vide infini de l’univers.
XI ✚ Acte II